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appartient pas de discuter ici le bien fondé de pareils soupçons ; mais, qu’ils naissent, c’est la triste conséquence de ces luttes religieuses dont Gambetta proscrivait sagement « l’exportation » et dont nous sommes obligés de constater les conséquences délétères.


Il ne sied point de clore ces quelques pages sur une image de discorde, puisque, malgré tout, la Nouvelle-Calédonie travaille et grandit. Nous avons constaté ses richesses, les promesses d’avenir qu’elle porte en elle et les progrès déjà réalisés ; nous avons indiqué aussi quels obstacles sa situation géographique et la nature de sa vie économique opposent à son développement : il convient de conclure par une observation plus générale. Toujours portés à l’abstraction et aux théories, les Français font trop souvent de la colonisation comme ils font de la politique, sans esprit pratique, sans plan d’ensemble, sans connaissance suffisante des problèmes. La Nouvelle-Calédonie est une parcelle de notre empire d’outre-mer, qui forme lui-même un tout économique avec la France : la loi de sa croissance l’oblige à tenir compte des intérêts des autres colonies et de la mère patrie. Avec le nickel et le café, elle semble avoir trouvé les deux élémens d’une prospérité durable ; c’est dans cette voie qu’elle fera bien de porter tout son effort et tous ses capitaux et qu’elle pourra réussir sans se heurter à la concurrence d’autres possessions françaises. Les momens difficiles par lesquels a passé notre grande île du Pacifique provenaient, soit de l’incertitude des méthodes de colonisation, soit des désillusions qui suivent les trop belles espérances ; et il est à craindre qu’un jour ou l’autre de nouvelles crises ne naissent de la répétition des mêmes fautes ; l’histoire de la Nouvelle-Calédonie nous enseigne à coloniser avec prudence et d’après un plan rationnel et pratique, mais sans esprit de système et sans un vain étalage de théories. Le souvenir des péripéties héroïques des temps de la conquête et le spectacle des querelles d’aujourd’hui devraient aussi nous avertir que, si l’on crée par l’union, l’on risque de détruire par la haine.


RENÉ PINON.