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projeté en Calédonie de mineurs qui seraient en même temps de petits propriétaires peut avoir d’heureuses conséquences ; mais il ne fournira jamais qu’un contingent restreint de travailleurs, car le Français n’aime guère à s’expatrier et, si l’on recourt à des étrangers, à des Italiens par exemple, il ne faut le faire qu’avec une très grande prudence et dans de très minimes proportions, si nous tenons à rester les maîtres chez nous.

Il est plus facile d’amener des travailleurs asiatiques ou malais, et on l’a tenté plusieurs fois avec succès : l’on a introduit des Japonais et des Javanais qui se sont montrés bons ouvriers ; mais ils sont les sujets de gouvernemens étrangers qui peuvent, un jour ou l’autre, interdire ce genre d’émigration. Ouvrir la porte aux Chinois serait condamner à la ruine tout le petit commerce de l’île ; il suffit de constater quelles précautions prennent les Etats-Unis et les colonies australiennes afin d’éviter pareille invasion, pour être mis en garde contre une si grande imprudence. Les coolies du Tonkin, au contraire, pourraient devenir d’excellens auxiliaires pour nos planteurs ; ils sont robustes, sobres, énergiques, et de plus ils sont nos sujets : leur engagement fini, ils rapporteraient en pays français leurs économies. L’une des solutions de la question de la main-d’œuvre en Nouvelle-Calédonie est peut-être là, mais il faudrait que l’administration de nos deux colonies s’entendît ; et n’est-ce pas beaucoup demander ?

Les indigènes des Nouvelles-Hébrides ou ceux des Loyalty, qui viennent louer leur bras sur la Grande-Terre, rendent de grands services aux colons : croisés de race polynésienne, ils sont plus dociles et plus faciles à domestiquer que les Canaques, mais ils sont peu nombreux, ils ne s’engagent volontiers que pour quelques semaines, le temps de faire une récolte et d’amasser quelque monnaie. L’appoint de leur travail constitue néanmoins une précieuse ressource, et l’on est d’accord pour le reconnaître.

Mais quels services peut-on attendre de la population sauvage de la Grande-Terre ; jusqu’à quel point est-elle susceptible de civilisation et de progrès ; pourra-t-elle participer à l’œuvre de la mise en valeur de cette terre où elle végète depuis des siècles ; ou bien est-elle vouée, par la fatalité des lois de la nature, à une disparition prompte et inéluctable ? C’est la question complexe et délicate qui divise les opinions et que l’on retrouve, nous le verrons, jusque sous les graves dissentimens qui ont surgi parmi les Français de la Calédonie.