Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et expérimenta, pour n’aboutir finalement qu’à des résultats hors de toute proportion avec l’effort accompli et l’argent dépensé.

Ce n’est point notre tâche de rechercher si l’indéniable faillite du système de la transportation est imputable surtout aux utopies d’une philanthropie trop peu pratique, bu au manque d’esprit de suite et aux erreurs successives d’un régime administratif qui aurait faussé et discrédité une méthode en elle-même raisonnable et susceptible de produire d’heureux effets[1].

Il y a, dans toute administration, je ne sais quel vice constitutif qui la porte à croire qu’elle est à elle-même sa propre fin : l’administration pénitentiaire a vraiment abusé de cette illusion naïve. Mais revenir sur le passé ne servirait de rien. Le fait actuel nous importe seul : la transportation en Calédonie est aujourd’hui supprimée, à la satisfaction unanime des colons ; le bagne se dépeuplera peu à peu par extinction ou achèvement de peine. Mais, au moment où l’abandon du système de la transportation paraît définitif, il est juste de reconnaître que, si les résultats obtenus sont minimes, par rapport au nombre de bras dont l’administration a disposé pendant un si long temps, du moins quelques travaux publics ont été faits qui contribuent dans une large mesure à rendre possible aujourd’hui l’essor de la colonisation. C’est surtout quand elle a voulu devenir industrielle et s’essayera l’agriculture que l’administration s’est complètement fourvoyée dans des essais coûteux et finalement désastreux. Dans le travail des mines, au contraire, la main-d’œuvre pénale a rendu de très appréciables services. Si la haute banque s’est intéressée aux affaires minières de la colonie, c’est parce qu’elle était assurée que jamais les travailleurs ne viendraient à manquer. L’Etat, ayant des milliers de transportés à utiliser, les a prêtés aux grandes sociétés industrielles, qui lui ont assuré le remboursement de ses frais et qui ont de plus donné aux condamnés une rémunération supplémentaire de leur travail. On a voulu flétrir ces pratiques et on les a qualifiées de marchés de chair humaine : c’était pousser bien loin la sensiblerie ; les condamnés recevaient un salaire et travaillaient à ciel ouvert, dans des conditions d’hygiène qu’en France, des milliers d’ouvriers envieraient ; quant à l’Etat, il avait

  1. Voyez, sur cette question, les articles de M. Paul Mimande dans la Revue des 15 mai et 15 juillet 1893. — Voyez aussi une étude historique de la colonisation pénale, dans : l’Archipel de la Nouvelle-Calédonie, par M. Augustin Bernard (1 vol. in-8o, 1895 ; Hachette).