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REVUE DRAMATIQUE


THÉÂTRE SARAH-BERNHARDT : l’Aiglon, drame en six actes en vers, par M. Edmond Rostand. — VAUDEVILLE : la Robe Rouge, pièce en quatre actes, par M. Eugène Brieux.


Le nouvel ouvrage de M. Edmond Rostand est sans doute moins bien venu, moins harmonieux que le précédent. La différence est-elle si grande pourtant qu’elle explique la sévérité des jugemens portés sur l’Aiglon ? La critique d’aujourd’hui a toute sorte de mérites ; mais il lui arrive de manquer de sang-froid ; je veux dire qu’elle en manque au point de sembler parfois s’être donné tout exprès pour mission d’affoler l’opinion. Lorsque parut Cyrano, on s’empressa partout, sauf peut-être ici, d’entasser les hyperboles sur les flagorneries. Trop est trop : on fait payer cher aujourd’hui au délicat poète cet enthousiasme disproportionné ; mais quoi ! ce n’est pas sa faute si nous nous sommes montrés, à son occasion, très ridicules. Qu’y avait-il dans Cyrano qui ne fût déjà dans les Romanesques, et qui ne se retrouve dans l’Aiglon ? M. Rostand reste ce qu’il était : un écrivain merveilleusement doué. Son talent aimable, léger, aisé, ailé, est fait de fantaisie, d’ironie persifleuse et gamine. Ses défauts mêmes sont de ceux pour lesquels il nous est difficile d’être sévères, puisqu’ils sont, en quelque manière, consacrés chez nous par la tradition. Il est précieux, et la préciosité dont on retrouve des traces chez quelques-uns de nos plus grands écrivains est le péché où nous inclinons sitôt que quelque rude censeur ne vient pas nous ramener dans le droit chemin. Il est sentimental, et de M. d’Urfé à Florian nous avons en France une bien jolie veine de littérature sentimentale. Il a le tour d’esprit burlesque, et le burlesque chez nous a fait ses preuves à l’époque Louis XIII comme à l’heure du romantisme. D’heureux défauts sont pour une forte part dans le succès d’un auteur. Les vers de M. Rostand, qui ne sont pas