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dentellières du village ; ces classes étaient parfois subventionnées par les municipalités, le plus souvent par le château, par le presbytère, ou par l’effet de quelque générosité particulière. Les parens payaient un prix d’apprentissage variant de 5 à 10 francs ; les enfans avaient le produit presque intégral de leur travail, car la dentelle ainsi faite était vendue par l’entremise de la maîtresse à un fabricant attitré. L’enseignement primaire prenait à peine deux ou trois heures, et le reste du temps, c’est-à-dire sept et huit heures, ainsi que toute la journée du jeudi, était consacré à la dentelle. Les enfans, la première année, gagnaient au moins le prix de leur instruction générale ; les autres années, elles faisaient des journées de dix et quinze sous, et plus elles avançaient en âge, plus leurs gains s’élevaient : il y en avait ainsi qui arrivaient à deux francs. Ces classes de dentelle existaient dans presque tous les villages, et toutes les fillettes sans exception y travaillaient.

Les chambres de dentelle, au contraire, n’étaient pas exclusivement fréquentées par les apprenties ; c’étaient plutôt des sortes d’ouvroirs, où toutes les dentellières du village se réunissaient et travaillaient en commun. Une maîtresse d’ouvrage surveillait tout ce monde et apprenait le métier aux petites qui venaient là dans l’intervalle des classes ; on plaçait la débutante près d’une ouvrière habile, qui la surveillait et la conseillait dans les momens embarrassans. C’était donc un véritable atelier, où chacun mettait en commun son expérience et son savoir-faire. On travaillait depuis 6 ou 7 heures du matin jusque, parfois, à 10 heures du soir ; la maîtresse vendait la dentelle ainsi faite, et chaque ouvrière percevait le produit de son travail particulier : il n’était pas rare que l’on distribuât ainsi, au bout de six semaines, 1 600 francs aux femmes de l’ouvroir.

Dans les communes qui ne possédaient pas de chambres de dentelle, ce travail en commun se faisait, pendant la saison froide, dans les « paillots » ou crèches. Le « paillot » n’était autre chose qu’une étable où les dentellières se réunissaient ; elles s’asseyaient sur de la paille, leur métier sur les genoux, autour d’une bougie, entourée de globes remplis d’eau qui en multipliaient l’éclat et donnaient une lumière douce et tamisée ; la chaleur et le souffle des bestiaux tenaient lieu de foyer. Grâce à cette combinaison rudimentaire, ces pauvres femmes réduisaient d’autant, sur leur maigre budget, le chapitre du chauffage et de l’éclairage. Cette