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milieu, la belle et vraie dentelle pouvait-elle prospérer ; ne devait-elle pas fatalement péricliter, et l’imitation n’avait-elle pas beau jeu ?

Telles sont les causes principales de la crise qui a sévi avec une intensité si terrible sur la dentelle à la main ; reste maintenant à savoir si l’on est en droit d’espérer une reprise de cette industrie, et qui peut la provoquer.


II

Notons d’abord qu’il n’y a point d’impossibilité préalable à un tel relèvement. Il est constant, en effet, que l’habileté de nos dentellières est actuellement hors ligne, et nous verrons que, dans d’autres pays, la dentelle a été relevée, quand la technique en était complètement tombée et les traditions perdues.

Mais il ne faut pas se dissimuler que l’entreprise est délicate, et que, pour être menée à bien, elle exige du tact et quelque clairvoyance. Nous sommes, en effet, en présence d’une industrie défaillante, que la moindre imprudence pourrait radicalement ruiner ; c’est ainsi qu’un syndicat de dentellières, imposant une majoration des salaires, aurait pour effet immédiat de forcer les fabricans, qui ont déjà bien du mal à faire leurs frais, à abandonner la partie. La force ou la menace ne pourraient avoir ici que des effets désastreux, et c’est dans un tout autre esprit que la solution doit être cherchée.

Le fabricant peut et doit être le premier artisan de cette reprise : son rôle sera de se rendre compte de ce que la dentelle à la main doit être dans l’état actuel de nos mœurs, puis d’en faire un article intéressant et répondant par un mérite spécial aux nécessités de sa fabrication.

Cette dentelle est une œuvre de patience et de temps, son exécution est lente : pour rémunérer convenablement son ouvrière, elle doit nécessairement se vendre un certain prix, et là le bon marché ne peut exister qu’au détriment du facteur ou de la qualité du produit. Elle devra donc, pour justifier son prix de revient et triompher de la concurrence de l’imitation, se distinguer par des qualités artistiques qui lui confèrent une valeur particulière et indéfectible. En un mot, la dentelle à la main (il ne s’agit ici que des grands modèles) sera une œuvre d’art ou ne sera pas.