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les commandes que leur donnaient les monastères franciscains, ont pris plaisir à reproduire le personnage de saint Louis de Toulouse, comme un sujet heureux, dont ils ont aimé à développer les richesses. Et de fait, quand on y pense, le contraste entre la naissance royale du prince angevin et sa vocation d’humilité, qui avait frappé les âmes religieuses d’une impression si durable, se traduisait par des contrastes de « caractère » et même de couleur bien faits pour tenter les peintres : la robe austère sous la chape splendide, la mitre vénérable sur un front d’adolescent, la gravité de l’évêque unie à la candeur de l’acolyte. Le thème était vraiment rare, et un Fra Angelico ou un Pinturicchio en ont tiré des variations délicieuses. On dirait que les peintres toscans ou ombriens du XVe siècle ont retrouvé, à travers la tradition franciscaine, et par leur émotion directe d’artistes, le souvenir même que les contemporains nous ont transmis du jeune saint, qui passait comme étranger déjà au monde des vivans, et dont la beauté transparente de poitrinaire avait émerveillé ceux qui l’approchaient.

Saint Louis de Toulouse ne disparut de l’art italien qu’au commencement du XVIe siècle, quand les artistes, qui avaient bu à la source antique, comme à l’eau d’un Léthé, oublièrent tous les souvenirs qui s’étaient transmis pieusement à travers les générations renouvelées, depuis les jours de Giotto et de Simone Martini.

Certes, les Italiens qui, dans les dernières années du XVe siècle, se plaisaient encore à reproduire la figure de saint Louis d’Anjou, pour sa beauté, peut-être, plus encore que pour sa sainteté, ne songeaient guère qu’ils faisaient revivre un prince de la famille étrangère qui avait autrefois dominé l’Italie, et le frère du roi qui avait été, au XIVe siècle, le plus puissant protecteur des lettres et des arts, et comme un ancêtre des Médicis. Mais les fleurs de lys qu’ils continuaient de répandre à pleines mains sur le manteau du jeune évêque étaient encore un hommage inconscient à la maison d’Anjou. Dans la personne de saint Louis de Toulouse, les peintres et les sculpteurs qui travaillaient pour les églises franciscaines d’Italie ont payé, sans le savoir, à la dynastie française qui avait uni pour quelques années la discipline a de saint François et les premières aspirations de la Renaissance, la dette qu’avaient contractée envers elle les franciscains et les artistes.


EMILE BERTAUX.