Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du même âge dans notre immoral pays de France ; que sais-je encore ? Il serait trop long et bien inutile de les nommer, sauf pour dire qu’ils sont élégans, de bonne mine, forts au tir et au polo, au whist et au billard, capables de reconnaître un bon cheval, et parfois de jouer du banjo. Ce sont les mêmes braves jeunes gens qui ne surent, au Transvaal, que se faire tuer en trop grand nombre.

La presse anglaise a beaucoup agité cette question. Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’officiers savans dans l’armée ? Pourquoi les hommes vraiment supérieurs sont-ils plus nombreux dans toutes les autres carrières ? Pourquoi laisse-t-on le sabre aux Stalkys et Cie ? Affaire de traitement. La magistrature, l’église, le service civil aux colonies, offrent de meilleurs débouchés ; un évêque, un juge à la haute cour sont mieux payés qu’un général. Le résultat, c’est que, parmi les officiers peints par Kipling, il n’y en a pas un seul qui ait dans sa sphère la valeur du soldat Mulvaney dans la sienne. Mais que faisaient-ils en Afrique, les vieux soldats qui prirent en une nuit la ville de Lungtungpen[1] ? Peut-être se sentaient-ils un peu dépaysés. La guerre actuelle diffère absolument de celle dont le soldat Mulvaney nous raconte les péripéties d’une façon si pittoresque. La tactique des Boers n’est pas d’attaquer corps à corps ; ils ne se servent que du fusil à répétition et du revolver, et ils en font bon usage, étant les plus habiles tireurs du monde. Ils disposent en outre d’un armement perfectionné en fait de canons et de batteries. Le contingent naval, dont les forces furent affaiblies de 50 pour 100 à Grospan, les solides Highlanders qui perdirent 480 hommes sur 600 à Magersfontein en savent quelque chose. L’arme blanche, au contraire, joue un grand rôle dans les combats entre Anglais et Afghans ; nous le voyons par le récit de Mulvaney qui résume à peu près tous les autres.


III

« À la caserne comme sur le champ de bataille, un régiment irlandais est le diable et pis que ça. On n’y peut faire entrer qu’un jeune homme dont les poings ont été sérieusement éduqués. Oh ! la crème du désordre, c’est un régiment irlandais déchaîné

  1. Voyez, dans la Revue du 1er  avril 1892 : Un roman de Rudyard Kipling.