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L’ARMÉE ANGLAISE
PEINTE PAR KIPLING

De tous les écrivains de notre temps, Rudyard Kipling peut passer pour le plus favorisé. Il n’a pas atteint trente-cinq ans, et déjà il est le poète attitré d’une grande puissance. Romancier, il compte les millions de lecteurs qu’on ne peut avoir qu’à la condition d’écrire des choses accessibles à tous les esprits dans une langue comprise sur la moitié du globe. Ce n’est pas assez dire, puisque dès 1879 il a été établi que les colonies et les conquêtes anglaises constituaient un tiers du monde habitable et un quart de sa population. L’empire britannique, prétend-on, est trois fois et demi plus grand que l’empire romain à l’apogée de sa gloire. Quoi qu’il en soit au juste, les écrivains anglais ont l’avantage de s’adresser à un public infiniment considérable, dont la Grande-Bretagne ne forme qu’une faible partie, renforcée par les États-Unis, l’Australie, un bon morceau de l’Asie et une partie de l’Afrique. Mais il n’est aucun ouvrier en vers ou en prose parmi eux qui ait. à beaucoup près, en ces diverses régions, la popularité de Rudyard Kipling. Kipling pénètre partout où va le Drapeau anglais, et, il l’a dit avec une superbe insolence dans la ballade intitulée ainsi, tous les vents de la terre peuvent donner des nouvelles de ce drapeau-là :


Que savent-ils de l’Angleterre ceux qui ne connaissent qu’elle ?


Le vent du nord interrogé répond en rugissant que le drapeau anglais a forcé les portes de fer du cercle arctique, et le vent du sud soupire qu’il n’est pas un îlot, parmi les milliers d’îles qui couvrent l’immensité des mers tropicales, où ne flotte, parmi les palmes, le drapeau anglais. C’est encore le vent d’est qui a le plus