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horriblement peur, il croyait nécessaire, avant tout, d’évincer les directeurs actuels, d’éliminer ce poids mort, de déblayer le terrain de ces encombrans cadavres. Ses amis dans les deux Conseils, « les républicains organisateurs, » ceux qui rêvaient déjà de mesures violemment conservatrices de leur pouvoir et de leur influence, lièrent d’abord partie avec les partisans d’une politique effrénée ; entre ces élémens dissemblables, il y eut entente d’un moment et coalition pour détruire. Ce fut ce qui permit l’acte du 30 prairial, la dislocation du Directoire par les Conseils. Le peuple n’y prit aucune part. Tandis que tout se soulevait dans les Conseils, la rue restait calme, les endroits de promenade et de plaisir très fréquentés ; à peine un peu plus de monde qu’à l’ordinaire autour des Tuileries et du Palais-Bourbon, où se réunissaient les Anciens et les Cinq-Cents. Paris tranquille, méprisant, regarda s’organiser l’insurrection parlementaire.

Le 28 prairial, — 16 juin, — les Conseils se déclarèrent en permanence. L’attaque directe contre l’exécutif commença et fit brèche. On découvrit que l’élection de l’un des directeurs, Treilhard, avait été faite inconstitutionnellement, l’ayant été moins d’un an après que Treilhard avait résigné son mandat législatif. Bien que l’irrégularité datât de l’an VI et qu’il parût y avoir prescription, les Conseils annulèrent l’élection. Treilhard, connu pour sa morgue et sa rudesse, s’effondra néanmoins sous le coup ; les larmes aux yeux, il quitta la salle où délibéraient les directeurs et disparut du Luxembourg. Sans désemparer, les Conseils le remplacèrent par Gohier, président du tribunal de cassation, Jacobin assez notable, honnête et court.

Il ne restait des anciens directeurs que Barras, La Révellière et Merlin. Barras assura son salut par une trahison : il se retourna contre ses deux collègues et s’offrit à les exécuter, tantôt employant la menace et venant au conseil avec un grand sabre, tantôt usant de paroles mielleuses. Cependant La Révellière et Merlin tenaient bon, se cramponnaient au pouvoir ; on s’acharna alors sur eux, on les chargea de tous les péchés du Directoire. Dans la journée du 30, ce fut au Luxembourg un envahissement, de députés de toutes nuances, qui les sommaient de partir.

Comme ils résistaient toujours, le recours à la force parut imminent. Des généraux s’offraient à trancher dans le vif : les sabres s’agitaient dans le fourreau. Joubert, qui commandait la 17e division militaire, c’est-à-dire Paris et ses environs, ne demandait