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camps étaient devenus le foyer des passions nobles. La Révolution avait non seulement exalté, mais moralisé l’armée, au moins dans ses rangs inférieurs, en y faisant affluer le plus pur de la sève française. On vit alors les héros stoïques, sans peur et sans tache, les preux de la Révolution. Depuis qu’à la guerre de défense avait succédé la guerre de propagande et ensuite de conquête, un souffle corrupteur avait atteint et sali l’armée ; la soif des profits matériels, de l’or et des jouissances s’y était violemment éveillée. Pourtant beaucoup d’officiers et de soldats, surtout dans les armées du Rhin et d’Helvétie, demeuraient fidèles au vieil idéal de désintéressement et de simplicité. Ils se modelaient sur ces Romains de convention, sur ces Spartiates de tragédie dont leur imagination était pleine, et ils créaient un type de haute vertu guerrière, quand ils croyaient seulement le reproduire. Ceux-là étaient très grands ; les autres restaient en général admirablement braves, aguerris, endurans, aventureux, pleins de sang, pleins de sève, et la flamme révolutionnaire brûlait toujours en eux. Se jugeant d’essence supérieure au reste de l’humanité parce que le Verbe libérateur leur avait été révélé, ils croyaient affranchir les peuples en brisant les vieilles formes sociales, substituaient leur tyrannie à celle des anciennes castes, portaient, imposaient partout la loi nouvelle, en furieux missionnaires. Les armées restaient en somme ardemment républicaines, avec tendance au jacobinisme. A l’intérieur, dès qu’on leur montrait une apparence de réaction, un effort contre-révolutionnaire, elles voyaient rouge et fonçaient dessus brutalement. Mêlées ainsi à nos discordes, elles sentaient la tentation d’envahir et de dominer l’État. Parmi leurs chefs, les plus nobles, comme les plus ambitieux et les plus grands, entrevoyaient un rôle de régulateur et d’arbitre. En attendant, ils restaient avec les gouvernans actuels, avec ceux qui leur semblaient tenir en mains le dépôt de la Révolution et qui l’avaient effectivement ; Hoche s’offrait à eux dès qu’il s’agissait de mettre à la raison les « réacteurs » et les aristocrates ; Bonaparte se faisait leur homme, pour devenir leur maître.


II

Au printemps de 1799, en germinal et floréal an VII, c’est-à-dire au moment où les causes directes du dix-huit Brumaire commencent