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le pire des malheurs, mais ce qui en serait un aussi pour l’Angleterre. Celle-ci ne s’est pas arrêtée à ces avertissemens elle y a passé outre et s’est jetée dans la guerre, résolue à en accepter toutes les conséquences, quelles qu’elles fussent. Cette analogie entre le Transvaal et l’Irlande, exacte pourvu qu’on ne l’exagère pas, n’était pas faite pour assurer beaucoup de sympathies à l’Angleterre : aussi l’Irlande, — on a pu le voir par l’attitude, le langage et les votes de ses députés au parlement, — est-elle restée pour le moins indifférente aux revers et aux succès britanniques. Rien n’a pu la faire sortir de sa froideur. Les soldats se sont bien conduits parce qu’ils sont des soldats, et que le devoir militaire, qui a tant d’empire sur des hommes braves et disciplinés, agit fortement sur leurs âmes ; mais il serait téméraire d’en conclure que l’Irlande est convertie à cette guerre atroce, trop semblable à celle qui lui a été faite autrefois, et qu’elle soit prête à en adresser à la Reine de sincères félicitations. Quoi qu’il en soit, le voyage à Dublin est un fait intéressant, non pas par ses suites, car il n’en aura probablement aucune, mais comme indication des sentimens qui remplissent aujourd’hui l’âme britannique. Au moment d’écraser le Transvaal, on rêve à Londres d’un rapprochement avec l’Irlande : rien n’est plus édifiant.

Le gouvernement vient de prouver d’ailleurs, par la carte à payer présentée au Parlement, qu’il ne se fait d’illusions ni sur ce que durera la guerre, ni sur ce qu’elle coûtera. Il demande, comme entrée de jeu, une somme de un milliard, et demi. Nous disons comme entrée de jeu, parce que le chancelier de l’Échiquier, sir Michaël Hicks-Beach, n’a pas dissimulé que c’était là le chiffre minimum du sacrifice à faire, mais n’a pas le moins du monde exclu la possibilité, ni même la vraisemblance de l’obligation où l’on serait d’en faire par la suite un plus considérable encore. Il s’est alors réservé de présenter, au mois de juillet ou au mois d’août prochain, une nouvelle demande de crédit. La guerre ne sera donc pas terminée à cette époque ? Non ; on estime à Londres qu’elle durera jusqu’à la fin de septembre, et peut-être plus longtemps. La somme de un milliard et demi couvre les dépenses déjà faites et celles qu’on prévoit pour demain : on n’a rien prévu d’ailleurs, ni pour le rapatriement ultérieur des troupes, ni pour ces dépenses de liquidation, qui suivent toutes les guerres, même les plus heureuses. Il n’y aurait rien de surprenant, en mettant les choses au mieux, à ce que le crédit actuel dût être majoré d’un nouveau milliard. Mais ce sont là des questions d’avenir. À chaque jour suffit sa peine ; celle d’aujourd’hui se chiffre à un milliard et demi.