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On a même espéré à Londres, mais cette espérance repose peut-être sur une illusion, que le moment serait bien choisi pour amener une sorte de rapprochement avec l’Irlande. Les Irlandais, qui sont de très bons et de très vaillans soldats, se sont admirablement conduits dans la guerre sud-africaine. Ils ont contribué par leur bravoure au dernier succès de lord Roberts, et celui-ci leur en a d’autant plus volontiers rendu le témoignage dans une dépêche officielle, qu’il est Irlandais lui-même, comme le sont d’ailleurs les généraux Kitchener, French, Clery et Kelly-Kenny. On a remarqué que c’était eux qui avaient rendu la victoire aux Anglais, tandis que les généraux de race purement britannique l’avaient pendant quelque temps compromise. De pareils services méritaient bien d’être reconnus : aussi la Reine a-t-elle décidé que les régimens irlandais porteraient désormais comme emblème national, le jour de la Saint-Patrick, le trèfle qui leur avait été interdit jusqu’à ce jour. Ce sera, paraît-il, pour eux une grande satisfaction, et les orateurs irlandais à la Chambre des communes s’en sont montrés reconnaissans, tout en rappelant qu’ils avaient encore d’autres revendications, et même de plus importantes, à faire accepter par l’Angleterre. La Reine ne s’en est pas tenue là : elle a annoncé officiellement qu’elle irait dans trois semaines passer une quinzaine de jours à Dublin. C’est presque une révolution dans les mœurs gouvernementales, et surtout dans les habitudes de l’auguste souveraine, qui n’a pas franchi le détroit de Saint-George depuis plus de cinquante ans. Il faut, pour que cette résolution ait été prise, que l’on sente bien vivement, à Londres, sinon le besoin, au moins l’intérêt d’établir un lien plus étroit et surtout plus cordial entre les deux îles qui ne sont sœurs que par antiphrase. Mais un voyage de la Reine suffira-t-il pour cela ? La Reine sera reçue avec déférence à Dublin, non seulement par le vice-roi et par tout le monde officiel anglais, mais encore par la population irlandaise. Là non plus, on n’oubliera ni son sexe, ni son âge, ni ses vertus personnelles ; mais, si l’Irlande véritable pouvait parler, elle aurait beaucoup à dire et la Reine entendrait des vérités auxquelles ses oreilles sont peu habituées. L’Irlande, qui réclame depuis si longtemps en vain le droit de s’administrer elle-même et pour qui le home rule est toujours resté l’idéal à réaliser, n’a pas pu voir sans révolte intérieure la guerre portée dans l’Afrique australe pour supprimer l’indépendance d’une autre nation, que l’on a jugée la plus faible. Ceux qui ont jeté dans l’avenir les vues les plus lointaines ont justement exprimé la crainte que le Transvaal, sous la main étrangère, ne devint une autre Irlande, ce qui serait certainement pour lui