Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Il passe lentement sous la puissante voûte,
L’œil encore alangui d’un vague et long sommeil,
Les poils éclaboussés par le couchant vermeil,
Et l’on sent qu’il épie et l’on voit qu’il écoute.

Dans son regard se lit l’héréditaire effroi
Des ours velus, des loups cruels, de l’esclavage,
Cependant qu’il parcourt, inquiet et sauvage,
La tragique forêt dont il est le vrai roi.

Sa majesté paisible est faite d’harmonies,
De naturelle aisance et de nobles instincts,
Et, dans le jour suprême aux reflets incertains,
La souplesse et la grâce en lui semblent unies,

Mais le fier animal soudain s’est arrêté.
Effleuré d’un frisson qui s’achève en caresse,
Tous les muscles tendus, son corps nerveux se dresse
En un désir subit mêlé d’anxiété.

Pour qu’ainsi soit troublé son rêve solitaire,
Quel arôme a frappé son odorat subtil ?
Quel soupir non perçu de l’homme entendit-il
Dans les fourrés que hante un éternel mystère ?

Les naseaux frémissans, il a flairé là-bas
La passive femelle, et la lutte, et le drame ;
Humant l’ivresse éparse au vent du soir, il brame
De fureur et d’amour vers de nouveaux combats.

L’écho lointain sans doute envoie une réponse
Parmi les troncs géans aux fragiles décors ;
Car, d’un pas gravement rythmique, le dix-cors
Sous la futaie immense et lugubre s’enfonce.