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Depuis quatre mille ans le globe a gravité ;
L’épique roche est là, calme en sa gravité,
Monstre qu’un pan d’azur captive ;
Dans la forêt sauvage aux silences suspects,
Où le moindre vestige a les rudes aspects
De la genèse primitive.

En proie aux lents efforts de l’élément grossier,
Qui, plus profondément que le fer et l’acier,
Fouille la matière et la sculpte,
Elle s’érige au ciel lugubre ou radieux,
Menaçante et pareille à ces terribles dieux
Auxquels la peur vouait un culte.

Son geste altier, que l’ombre amplifie, est encor,
Dans la solennité farouche du décor,
D’une grandeur surnaturelle ;
Et la pluie et la grêle et la foudre et le vent
Ont dû, pour lui donner la forme d’un vivant,
S’acharner des siècles sur elle.

Et sans doute, jadis, des hommes sont venus,
Conquérans fabuleux et guerriers demi-nus
Qu’un sanglant passé revendique,
Et qui, sortis vainqueurs d’héroïques combats,
Pleins d’hymnes triomphaux, se sont courbés bien bas
Devant la pierre fatidique.

Car la forêt recèle aussi ses monumens
Sur qui gronde l’horreur des souffles véhémens
Dont la colère se déchaîne ;
Et cache, ennoblissant leur prestige mortel,
Des ébauches de temple et des profils d’autel
Où semble prier quelque chêne.

Tel, fier autant qu’un Louvre ou qu’un Escurial,
Ce bloc vertigineux, sombre, immémorial,
Cette masse que rien n’étaie,
Et qui, sourde au vain bruit qu’à son pied nous faisons,
Peut-être attend le vol d’anciennes oraisons
Dans les hauteurs de la futaie ;