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je vous conjure, par cette sainte union qui a toujours été entre nous, de continuer, après ma mort, le dessein que j’ai eu de servir ces messieurs dont vous connaissez le mérite, et que j’ai tellement honorés et estimés, que je meurs avec ce seul regret de ne leur avoir pu donner en effet le témoignage du désir que j’avais eu de leur rendre ce petit service… C’est ce que, ne pouvant écrire, j’ai voulu dicter à mon secrétaire. Adieu, mon cher frère, priez Dieu pour moi. » Quelques heures après, Peiresc mourait entre les bras de Gassendi, le fidèle ami de ses dernières années.


II

A la suite des guerres intestines qui depuis si longtemps désolaient la France, le besoin d’une vie plus tranquille et plus sûre s’était fait peu à peu sentir. Au contact d’une cour élégante et polie, près de laquelle les poètes et les artistes étaient en honneur, les hommes qui avaient le goût des choses de l’esprit, lettrés ou savans, assez isolés, jusque-là, commençaient à se grouper, à frayer les uns avec les autres. On regardait à côté de soi, on essayait de se connaître ; on savait quels étaient chez nous et à l’étranger les contemporains les plus remarquables par leur savoir ou leur talent ; on s’intéressait à leurs travaux, on les visitait. La philosophie, le droit, la politique sociale, l’exégèse et l’histoire comptaient partout des écrivains distingués. En même temps qu’une étude plus attentive de l’antiquité portait les érudits à compléter et à réviser les textes de tous les auteurs anciens et à dresser ainsi comme le bilan du passé, d’autres s’efforçaient d’ajouter aux connaissances acquises par des observations rendues plus précises, grâce à la découverte d’instrumens perfectionnés.

C’était là un moment d’expansion féconde, et personne n’a plus efficacement contribué que Peiresc à rapprocher les uns des autres les lettrés et les savans des divers pays pour faire d’eux, dans l’Europe entière, comme une seule famille d’honnêtes gens, famille laborieuse et unie. Sa situation indépendante, son activité, sa curiosité toujours en éveil, et surtout sa bonté parfaite conspiraient pour lui assurer ce titre de Procureur général de la littérature que Bayle lui a si justement décerné. Avec son tact naturel et sa bonne éducation, Peiresc avait déjà acquis, avant de quitter la Provence, assez d’usage du monde pour être bien accueilli partout où il se présenterait, assez de savoir personnel