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engouemens où les expose leur naturelle inquiétude qu’un attachement irrésistible aux coutumes et à l’opinion locales. Il assujettit ces hommes de paroisse à une tyrannie d’autant plus stricte que ce sont eux qui l’exercent, et sur eux-mêmes. Toute personnalité s’y rapetisse au niveau commun. Les individus craignent de se singulariser ; la pensée n’ose franchir le cercle des conventions séculaires : paresseuse, elle s’atrophie ; curieuse, elle perfectionne des riens ; grave, elle se complaît à des niaiseries solennelles. En revanche, ces milieux bien clos, où les vieux usages et les religions du passé sont les seules règles de la vie, conservent puissamment les institutions ancestrales et n’en laissent point éventer la sève.

La conception politique de Yeyasu, tout imprégnée des qualités du terroir, n’est l’œuvre ni d’un révolutionnaire ni d’un idéologue. Elle ne fait qu’assigner un emploi définitif à tous les instincts, défauts et qualités, que les guerres civiles ont noyés ou repoussés dans leurs alternatives de ténèbres et d’incendie.

L’individu ne compte pas. La famille, constituée comme à Rome et en Grèce, est la seule unité vivante. Le code qui la régit ne distingue pas entre la légalité et la moralité. Sa lecture n’est permise qu’aux principaux conseillers d’Etat. Les gens sont jugés sur des lois qu’ils ignorent et ne doivent point connaître. Qu’importe, puisque l’acte individuel n’est jamais considéré que dans sa moralité, l’acte social dans son utilité ? Les magistrats, miroirs du gouvernement, en réfléchissent les modes. D’ailleurs, les lois écrites sont peu nombreuses, et les juges les interprètent suivant leur conscience, les coutumes, les nécessités présentes. Les causes qui sont portées devant leur tribunal n’étant jamais identiques, l’influence des verdicts précédens les conduirait à de regrettables erreurs. Ils se créent donc à eux-mêmes, pour chaque affaire, une jurisprudence, et le jugement prononcé ne se répercute dans aucune autre cour de justice. L’idée du droit n’a point pénétré dans ces esprits qui passent si aisément de l’extrême violence à l’extrême docilité. Mais l’idée du devoir ennoblie, glorifiée, tour à tour les exalte et les prosterne. L’enfant est aveuglément soumis à ses parens ; la femme à son mari ; le mari, s’il est d’une humble classe, au samuraï, le samuraï à son prince, le prince au shogun. Les seuls commandemens promulgués et affichés sur toute l’étendue de l’Empire ont la brièveté simple et générale du Décalogue. Tout le monde sait que le moindre vol