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Le premier acte fut tenu par Nobunaga, faiseur et défaiseur de shoguns. Il déclare la guerre aux burgraves bouddhistes, saccage leurs monastères, anéantit la féodalité religieuse. Nobunaga était noble ; son héritier et son continuateur fut un ancien valet d’écurie, Hideyoshi.

Physique de gorille, moral de soudard, un orgueil de parvenu qui touche à la démence, une âme d’orgie, mais, dans cette âme, une incroyable puissance de domination et de grands desseins qui font de ce monstre une manière de génie. La plèbe japonaise avait mis des siècles à le concevoir ; il ne fallut pas moins qu’un tel bouleversement pour l’arracher de ses entrailles. Cet homme, qui, prévenu de l’embuscade où Nobunaga devait perdre la vie, s’en était remis aux dieux du salut de son bienfaiteur, centralise tous les pouvoirs entre ses mains de premier ministre, frappe à coups redoublés sur les seigneurs féodaux et, pour divertir leurs instincts belliqueux encore mal comprimés, se met à leur tête et les lance contre la Corée. Expédition fameuse et stérile ! mais Hideyoshi se souciait moins de conquérir que d’épuiser dans une guerre étrangère la sève brûlante des guerres civiles. Il mourut, laissant un fils en bas âge et un élève plus fort que son maître : Yeyasu.

Au plébéien brutal, grossier, jouisseur et qui portait toujours la tête superbement rejetée en arrière, succède un homme de vieille noblesse, froid, taciturne, tenace, peu scrupuleux, mais dont les intérêts se confondent avec ceux du pays et qui aime dans les siens le peuple japonais tout entier. Le Midi soulevé contre le Nord revendiquait l’Empire pour l’enfant d’Hideyoshi, dont la victoire eût certainement ruiné l’œuvre de son père. La journée de Sekigahara, en 1600, où quarante mille têtes roulèrent dans la boue, sauva le Japon. Ses grands coups étaient rués ; l’avenir appartenait au génie de Yeyasu. Le soir du combat, ce premier shogun Tokugawa, qui avait combattu depuis le matin le front nu, remit son casque. « Un bon général, dit-il, ne se couvre qu’après la bataille et quand il l’a gagnée. » C’était mieux qu’un mot et qu’un beau geste. Le lendemain de la victoire le trouva debout, pacifique, mais casqué.

Autour de lui, on ne voulait plus mourir. Un seul danger subsistait encore, dans les clans du Sud, le parti catholique. Encouragés par Nobunaga, qui ne voyait en eux qu’une secte adversaire du bouddhisme, malmenés par Hideyoshi, les