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tout jamais leur prosodie, qui, sans accent, ni quantité, ni rime, alterne les vers de cinq pieds avec les vers de sept. Embryonnaire et définitive, cette poésie est le seul art original qu’ils puissent revendiquer.

Leur amour-propre national fut souvent gêné de ces débuts dont la modestie contrastait si fort avec l’étalage de leur divine ascendance. Ils tentèrent de les tourner à leur honneur, et un des plus ardens défenseurs du Shintoïsme, Hirata, écrivait au commencement de ce siècle que la civilisation tardive des Japonais prouvait leur supériorité, d’autant que les grands esprits se développent tard. C’est ce que disait aussi M. Diafoirus. Le philosophe eût été mieux inspiré si, remontant aux jours lointains où la Chine religieuse, littéraire, artistique, industrielle envahissait le Japon, il se fût émerveillé des ressorts imprévus qu’elle y mit en jeu. Ce qui semble admirable, ce n’est point qu’un pays inculte ait subi l’ascendant d’un Empire dont les arts et la philosophie n’ont pas encore à travers les âges épuisé leur éclat, mais que, l’ayant subi et jusqu’à la superstition, son génie si lent à paraître ait pu s’en dégager et marquer d’une empreinte ineffaçable cette civilisation étrangère qui aurait dû l’étouffer.

Du plus loin que nous les apercevions, aussi impuissans à concevoir qu’ingénieux à broder sur les canevas d’autrui, très inférieurs aux grandes nations asiatiques qui ont déjà réalisé leur rêve essentiel en des formes durables, les Japonais dénotent une vertu sociable qu’on n’attendrait point de leur farouche humeur et un esprit dont la souplesse surprend au sortir de leurs longues ténèbres. Il y faut voir sans doute un effet de cette nature aimable qui les isole et les nourrit. Ses souffrances volcaniques, dont les crises vont diminuant, la laissent baignée d’une heureuse mélancolie. Elle incline à la douceur ceux qui la contemplent. Si ses montagnes et ses flots favorisent l’établissement des petites patries, l’élégance toujours égale de ses multiples aspects développe en tous ses hôtes le sens de l’harmonie et leur ouvre l’âme au même genre de beauté. Je dirais volontiers que l’histoire des Japonais n’est que le reflet vivant et superficiel de son travail souterrain. Ils ont eu à son image leurs déchaînemens, leurs convulsions, des raz de marée qui jetèrent brusquement parmi leurs vieilles routines des idées étrangères comme ces vaisseaux qu’une immense lame apporte et abandonne au milieu des villes, mais