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exhalait sa mauvaise humeur : « Nous avions toujours soupçonné, écrivait-il à la date du 16 novembre, que les offres de la France n’étaient pas tout à fait sincères, » et, caressant l’illusion que le traité d’échange du Milanais pouvait encore être signé, il demandait à Vernon de lui faire savoir par retour du courrier ce que positivement il pouvait attendre de la France, « afin, ajoutait-il, que nous puissions prendre nos plus justes mesures, ce que nous disons pour vous deux seuls et dont vous ne laisserez entendre à personne. »

Celui aux lumières duquel Victor-Amédée adressait, en même temps qu’à celles de Vernon, ce suprême appel était le président de la Tour, son ambassadeur à la Haye, en ce moment de passage à Paris. Mais ce fidèle serviteur, en qui Victor-Amédée avait une confiance particulière, ne laissait à son maître aucune illusion. « Pour moy, lui écrivait-il, je me confirme dans l’opinion que tout s’exécutera presque sans opposition, et l’on se croit ici en pleine sûreté, de sorte que l’on ne changera rien au projet du testament[1]. » Aussi Victor-Amédée, se rendant mieux compte de la situation, prenait-il, au bout de quelques jours, son parti de faire bonne mine à mauvais jeu, et il autorisait Vernon à se joindre aux ambassadeurs qui vinrent adresser leurs complimens au roi d’Espagne. Ce fut un grand soulagement pour la duchesse de Bourgogne, qui se demandait avec anxiété, connaissant l’humour de son père, à quel parti il s’arrêterait. Elle reçut Vernon à sa toilette, au sortir de l’audience accordée aux ambassadeurs par le roi d’Espagne, et lui fit part des inquiétudes par lesquelles elle avait passé[2]. Victor-Amédée s’exécuta jusqu’au bout. A la vérité, il ne crut pas devoir, comme le lui conseillait Vernon, envoyer un gentilhomme tout exprès pour porter ses complimens à Louis XIV, mais il lui adressait une lettre personnelle qui débutait ainsi : « Ce nouvel accroissement que reçoit la gloire de Votre Majesté, ayant accepté pour Monseigneur le duc d’Anjou la succession de toute la monarchie d’Espagne, m’est un sujet de joye que je ne saurois assez lui témoigner, voyant qu’un sang si auguste que celui de Votre Majesté soit justement destiné à remplir les premiers trônes de l’Europe[3]. »

  1. Lettere Ministri Francia, mazzo 12f ». Le président de la Tour à Victor-Amédée, 1er déc. 1700.
  2. Ibid., Vernon à Victor-Amédée, 1er déc. 1700.
  3. Ibid., mazzo 129. Victor-Amédée à Louis XIV, 27 nov. 1700. La lettre signée par Victor-Amédée est aux archives des Affaires étrangères. Corresp. Turin, vol. CVI.