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pas moins les clefs de l’Italie. Il essaye d’abord de le contenter par des assurances vagues, qu’il chargeait Torcy de transmettre à Vernon. Nombreuses sont les dépêches où l’ambassadeur de Victor-Amédée rend compte à son maître de ses conversations avec le ministre de Louis XIV. Torcy, à dessein sans doute, ne se montre guère précis dans son langage ni dans les espérances qu’il donne à entrevoir. Un jour, il parle de l’échange des États de Victor-Amédée, qui seraient cédés à la France contre Naples et la Sicile, que lui abandonnerait le Dauphin. Vernon se contente de sourire et traite la proposition de « cosa puramente ideale, » à quoi Torcy de répondre sans insister que « non era chimera. » Un autre jour, il dit à Vernon « que de n’avoir pas été nommé un des premiers à une succession ne laissoit pas que, dans la suite, on ne pût être des mieux partagés[1]. » Mais d’aussi vagues promesses ne suffisent pas à Victor-Amédée, qui fait la sourde oreille et continue de refuser son adhésion au traité.

Louis XIV se résout alors à faire un pas de plus et, transportant la négociation de Versailles à Turin, il modifie les instructions qu’il avait données d’abord à Phelypeaux. Ces instructions portaient que l’ambassadeur « devoit se réduire à des expressions générales de l’estime et de l’affection que Sa Majesté a pour lui (Victor-Amédée), et l’embarrasser en lui donnant lieu de croire que le sieur Phelypeaux a des ordres particuliers dont il ne pourra s’expliquer qu’après avoir reconnu de plus près et par lui-même quelles sont les dispositions de ce prince[2]. » Peu de temps après l’arrivée de Phelypeaux à Turin, Louis XIV les confirmait encore en l’autorisant à donner à entendre à Victor-Amédée que l’exécution du traité de partage pouvait « faire naître des conjonctures favorables où ce prince ressentiroit de nouvelles marques de son amitié, » mais en lui recommandant d’avoir toujours soin « de se renfermer dans les expressions générales[3]. » Par une dépêche du 17 septembre, il l’invitait à aller plus loin «… Il est cependant nécessaire que le duc de Savoye puisse croire qu’il se pourroit trouver des ménagemens dans les autres conditions du traité, capables de le contenter… Il faut aussi qu’il s’explique, et, s’il attend quelque avantage pour luy, il est juste qu’il

  1. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 127. Vernon à Victor-Amédée, 10 mai, 31 mai, 10 juin 1700.
  2. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, Savoie, Sardaigne et Mantoue, t. Ier, p. 213.
  3. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 106. Le Roi à Phelypeaux. 17 juin 1700.