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chose de grand. » Victor-Amédée n’était pas homme à prononcer des paroles en l’air. Ce langage belliqueux était assurément une manière détournée d’offrir son alliance à Louis XIV pour le cas où celui-ci voudrait s’opposer par la force à l’exécution éventuelle du testament de Charles II. Il est peu probable que Louis XIV, dont l’objet était sincèrement de préserver la paix de l’Europe, eût répondu à ces ouvertures. Mais un événement inopiné changeait la face des choses : c’était la mort du prince électoral de Bavière, enfant de six ans, sur la frêle tête duquel avait reposé pendant quelques mois ce vaste héritage, et qu’un mal subit enlevait en quelques jours. « Plusieurs discours furent tenus sur la cause véritable de sa mort, » dit Torcy dans ses Mémoires[1]. Pas plus qu’il n’avait su cacher son déplaisir, Victor-Amédée ne parvenait à cacher sa joie. « Je sceus, écrivait Briord, peu après que M. le duc de Savoye avoit publié cette nouvelle, qu’en lisant la lettre qui luy donnoit cet avis il avoit rougi, et qu’il avoit voulu montrer de la douleur de Testât de M. le duc de Bavière, mais que ceux qui l’approchent de plus près estoient persuadés qu’il en avoit une grande joye, et que ses courtisans l’avoient témoigné assez ouvertement[2]. »

Cet accident imprévu semblait avoir surexcité les convoitises de Victor-Amédée. Probablement il avait fini par savoir qu’au cours des négociations antérieures au traité de partage du H octobre, sa propre candidature au trône d’Espagne avait été un instant mise en avant par Louis XIV lui-même, et que, sans l’en informer, celui-ci avait fait valoir les droits que le testament de Philippe IV conférait aux descendans de l’infante Catherine, au cas où le prince électoral de Bavière mourrait sans enfans. « Lorsque j’ai proposé, écrivait Louis XIV à Tallard, le 3 septembre 1698, de se conformer à ce testament et d’élever le duc de Savoye sur le trône d’Espagne, si le prince électoral mouroit sans enfans, mon intention n’étoit pas de rendre valable un acte que je ne puis reconnaître comme bon, mais seulement de suivre les vues de Philippe IV, sans autoriser les dispositions qu’il avoit faites[3]. »

L’hypothèse que Louis XIV avait envisagée venait précisément

  1. Mémoires de M. de ***, pour servir à l’Histoire des négociations depuis le traité de Ryswick jusqu’à la paix d’Utrecht, t. I, p. 83.
  2. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 100. Briord au Roi, 31 février 1699.
  3. Le Roi à Tallard. Dépêche citée par Reynald, t. I, p. 143.