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Tessé se trouve-t-elle en double aussi bien aux Affaires étrangères que dans les papiers de Tessé. Par les renseignemens que ces lettres contiennent, on comprend qu’elles devaient intéresser le Roi[1]. Ce qui paraît surtout préoccuper la comtesse de Verrue, c’est de mériter, malgré sa situation irrégulière, l’estime de Louis XIV : « Je suis pénétrée de plaisir et d’une reconnaissance infinie, écrivait-elle à Tessé, de ce que vous m’assurez que le Roy ne me regarde pas comme une malheureuse qui devroit entrer aux Filles Repenties et mérite d’estre plainte, et mon frère de Chevreuse, avec Saint-Sulpice tout entier, n’eust pu m’éviter ce que l’abandon de mon mary qui ne songeoit qu’à me perdre, ma belle-mère pis, et les conjonctions m’ont attiré. » « Je suis folle d’aimer le Roy, dit-elle dans la même lettre, et d’ailleurs, je suis bonne Françoise[2]. »

Sans doute pour reconquérir l’estime de Louis XIV, qui n’avait cependant pas le droit de se montrer bien sévère, elle informe Tessé du pied sur lequel elle entend désormais vivre avec Victor-Amédée. « Nous avons pensé nous brouiller, le duc et moy, et vous pûtes voir au bal de mardy comme nous boudions. Il vouloit de moi certaines bassesses qui ne m’accommodent plus et qui sont désormais retranchées. Je l’envoyai, par accomodement, passer ailleurs ses furies, et nous avons accomodé tout cela de la manière du monde la plus plaisante. C’est un conte que je vous ferai. » Elle informe ensuite Tessé des sentimens que Victor-Amédée nourrit vis-à-vis de lui. En réalité Tessé est suspect au prince. Le duc en veut aux seigneurs de la Cour et aux dames qui ont été souper chez lui. Il est jaloux des aumônes qui sont distribuées et des pauvres qui sont secourus chaque jour à la porte du logis de Tessé. C’est se faire mal voir que de causer avec lui. Néanmoins Victor-Amédée convient qu’il l’aime autant qu’il peut aimer un Français, mais il ne souffrira pas qu’aucun autre soit admis à la Cour sur un pied aussi familier. Il faut donc que l’ambassadeur qui succédera à Tessé « compte sur peu de commerce. »

Ces renseignemens qui, donnés par la favorite en titre au représentant d’une puissance étrangère, ressemblent bien un peu

  1. Quelques fragmens de ces lettres ont même été insérés dans l’ouvrage improprement appelé Mémoires de Tessé, qui a été publié en 1800 par le général de Grimoard. M. de Leris en a tiré également hou parti dans son étude sur la comtesse de Verrue.
  2. Papiers Tessé, 23 janvier 1697.