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donc particulièrement délicat : d’une part, nous ne pouvons ni ne devons cesser nos bonnes relations avec les sultans ; de l’autre, si nous voulons avoir chance de devancer le colonel Coiville sur le Nil, il faut aller de l’avant, et, pour ce faire, ménager les mahdistes. »

Et, dans une lettre du 24 mai à M. Liotard, on résumait ainsi cette politique : « Le département tient essentiellement à ce que nous évitions d’engager des hostilités avec les derviches ; notre œuvre de pénétration doit être toute pacifique et n’entraîner, autant que possible, aucun conflit avec les partisans du Mahdi. »

Ainsi, point de lutte armée avec personne, pas même avec les derviches : un essai de pénétration pacifique, délibérément soumis aux instructions et aux exemples de M. Liotard ; la retraite, plutôt que le combat ; la confiance que, par les procédés déjà expérimentés dans le Haut-Oubanghi, on parviendra au but, c’est-à-dire à Fachoda, confiance pleinement justifiée par l’événement ; mais l’ordre exprès, si les circonstances forcent à changer de méthode, de renoncer à toute marche en avant, plutôt que d’exposer vainement le drapeau. Et, pour exécuter ce programme, des moyens strictement proportionnés, assez exactement fixés cependant, puisque encore une fois ils ont permis d’accomplir la mission dans le délai prévu de trente mois. Quels moyens ? Ceux-là mêmes qu’avait demandés M. Marchand dès septembre 1895 : 14 Européens, moins de 200 convoyeurs soudanais, et 3 000 colis de vivres, munitions et pacotille. Payés comment ? de l’aveu de la commission du budget, mise dès le début dans le secret, sur les ressources locales, déjà fort obérées, du Congo français.

Telle a été, dans ses origines, la mission Marchand : suprême étape d’une politique suivie sans désemparer dans les dernières années ; décidée à l’instant où tout commandait de la lancer ; pourvue d’ordres qui précisaient nettement son caractère et son but ; munie, enfin, des instrumens nécessaires à son action. Si, par la suite, la politique générale a modifié la portée des résultats espérés, ces résultats n’en ont pas moins été acquis, et, à aucun moment, ni l’idée maîtresse n’a été modifiée, ni les moyens d’exécution refusés.


II

Quel était, à l’égard d’une pareille entreprise, le devoir du cabinet Méline, lorsque, à la fin d’avril 1896, il arriva aux affaires ?