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marqués par le retrait final du bail consenti par la Grande-Bretagne au roi Léopold, étaient un premier et significatif avertissement que la République n’adhérerait point sans protestation ou compensation aux envahissemens de l’impérialisme britannique. Il y en eut d’autres, et tout aussi clairs. En 1895 notamment, quand le sous-secrétaire d’Etat du Foreign Office, sir Edward Grey, dans un discours public, fulmina une sorte de Quos ego contre ceux qui seraient assez audacieux pour s’approcher du Nil, M. Hanotaux ne se borna pas à relever, comme il convenait, ce discours à la tribune du Sénat[1] ; il obtint encore du chef de la diplomatie anglaise la déclaration expresse que « la question restait ouverte au débat[2]. » En décembre 1897 enfin, au cours des négociations suivies à Paris pour fixer les limites entre les deux puissances dans les territoires de la boucle du Niger, deux lettres échangées entre M. Hanotaux et l’ambassadeur anglais[3] constatèrent formellement que les réclamations réciproques relatives au Nil étaient de part et d’autre réservées, chacune des deux parties maintenant d’ailleurs ses positions antérieures.

Ainsi point d’improvisation hâtive et point de « coup d’épingle » inconsidéré dans la mission donnée à M. Marchand, mais, au contraire, la volonté réfléchie de persister dans un plan de conduite déjà ancien, et cela après avoir donné aux tiers intéressés tous les avis de principe compatibles avec la direction d’une affaire délicate, où personne assurément ne saurait exiger que rivaux ou ennemis soient officiellement informés de la mesure exacte de l’effort qu’il s’agit de fournir et de la date précise où l’objectif sera atteint.

Mais, a-t-on dit, quelle insanité que d’avoir exposé une troupe d’aussi minime importance, a plusieurs milliers de kilomètres de sa base de ravitaillement, à un conflit violent où, coupée de tout secours, elle ne pouvait manquer de succomber ! Quel inutile gaspillage d’héroïsme ! quel jeu tout à la fois enfantin et criminel,

  1. Séance du 5 avril.
  2. « Quant au fond des choses, dit lord Kimberley dans un document officiel que l’on retrouvera quelques jours aux archives, ce que sir Ed. Grey avait dit du cours du Nil ne devait pas être considéré comme équivalent à une prise de possession ; ses affirmations représentaient seulement la thèse, la prétention de l’Angleterre. Cette thèse, cette prétention étaient combattues par la France, qui restait libre de ne pas l’accepter et qui, en les contredisant, maintiendrait sa position antérieure. La question restait donc ouverte au débat. »
  3. Livre jaune, p. 2 et 3.