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en échec, défendront leur propre sol pied à pied avec une énergie désespérée ; et, comme leur pays est facile à défendre, la lutte sera encore très longue et très sanglante, entre deux adversaires d’un courage également indomptable, ou qui ne peut être dompté que par la mort. La partie vraiment tragique de cette guerre n’est pas encore commencée ; elle commencera lorsqu’un soldat anglais mettra le pied sur le sol du Transvaal.

Rien ne prouve que le fait soit à la veille de se produire. Sans doute l’État libre d’Orange est envahi par l’Ouest, mais sur un espace encore restreint, et la résistance héroïque du général Kronjé permet de pressentir celle que l’envahisseur trouvera toujours et partout, à moins qu’il ne réussisse à frapper un de ces coups sous le poids desquels tout est obligé de s’incliner et de plier. Dans une guerre semblable, il est impossible d’établir des prévisions quelque peu sûres, et cela est plus difficile encore avec une administration militaire qui arrête toutes les dépêches. La seule chose démontrée aujourd’hui est. que les Anglais, aussi bien que les Boers, ont réuni toutes les forces dont ils pourront désormais disposer : c’est avec leurs effectifs actuels qu’ils devront terminer une lutte qu’il aurait été si facile d’éviter, qui coûtera si cher au vainqueur, et qui, à supposer que ce vainqueur soit l’Angleterre, laissera un pays frémissant de haine et d’esprit de vengeance, pays de montagnes, de hauts plateaux, de vallées profondes, où, même après la cessation officielle des hostilités, la guerre de partisans pourra encore durer longtemps et peut-être recommencer toujours. Quoi qu’il arrive, les Boers auront sauvé plus que l’honneur. Ils auront donné au monde un noble exemple, celui d’un petit peuple qui ne veut pas désespérer de la victoire lorsqu’il est convaincu de la justice de sa cause, et qui est prêt d’ailleurs à mourir, s’il le faut, pour défendre son indépendance nationale et la liberté de ses foyers. Ces exemples ne sont heureusement pas, dans l’histoire, aussi rares qu’on veut le dire ; mais ils méritent toujours d’être salués avec respect. ?


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.