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pas eu la sottise de se tuer, il aurait pu, depuis quelques années déjà, revenir en France et y braver ses juges avec d’autant plus de crânerie qu’il n’en aurait plus trouvé. Mais lui non plus n’avait pas tout prévu.

Quant à la Haute Cour, n’étant pas responsable de la loi, elle l’a appliquée aujourd’hui sans se préoccuper de ce qui pourrait en arriver demain. Le temps arrange bien des choses ; et, puisque nous avons parlé d’amnistie, il n’est pas téméraire de penser qu’il y en aura eu une avant que M. de Lur-Saluces soit pris du désir de se faire juger. En attendant, il y aura deux exilés au lieu d’un à Saint-Sébastien ; mais nous ne nous en porterons pas mieux, et nous aurions même grand tort de croire qu’il suffise de pareils moyens pour nous guérir du mal dont nous souffrons en ce moment. Ce mal, nous l’avons dit souvent, est dans le désordre qui est en haut. Aussi longtemps que nous aurons un ministère condamné par sa composition même à suivre docilement les suggestions des radicaux et des socialistes, nous devons nous considérer comme très sérieusement menacés.

Ce n’est pas que ce ministère ne nous accorde quelques momens de répit ; au fond, il n’a qu’une préoccupation, qui est de vivre, et, lorsqu’il a donné quelques satisfactions aux partis avancés, il s’applique à rassurer de son mieux les partis modérés, en faisant ou en laissant entendre qu’après tout, il ne tient pas outre mesure aux projets de loi qu’il a présentés, et qu’on pourra en faire ce qu’on voudra. Il se livre aux efforts les plus habiles pour atteindre, en s’exposant aux moindres risques, l’ouverture de l’Exposition universelle, et, pour avoir plus de chances d’y réussir, il a avancé la date de cette ouverture d’une quinzaine de jours. La tradition fixait cette date au 1er mai ; le ministère l’a fixée au 14 avril. Cette décision est-elle justifiée par l’état des travaux, qui seraient déjà très avancés ? Il suffit de jeter un coup d’œil sur les chantiers pour reconnaître le contraire. S’explique-t-elle par la douceur exceptionnelle de la saison et par les premiers effluves du printemps qui auraient été ressenties par nos ministres ? En ce cas, ils auraient été les seuls à en éprouver l’impression. Il faut donc bien croire que la décision prise n’a d’autre objet que celui que nous avons indiqué. D’autre part, pour éviter les discussions délicates qui pourraient se produire, et qui se produiraient même inévitablement si le budget était terminé, on le fait durer aussi longtemps que possible et on y réussit admirablement. L’autre jour, les Chambres ont voté sans débat un troisième douzième provisoire qui, au train dont marchent les choses, ne sera peut-être pas le dernier. Ce n’est pas