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musique même. Elle répugne par nature, non seulement à la grossièreté de l’argot, mais à la vulgarité de la prose, j’entends d’une prose vulgaire. Si jadis, en dépit de la condition modeste et moderne des personnages (sauf Pierrot), la pantomime de l’Enfant prodigue parut en son genre un petit chef-d’œuvre, c’est justement parce qu’elle était une pantomime. Le silence y fut en quelque sorte le gardien et le garant de la beauté. Mais dans Louise, on chante trop souvent ce qui ne mériterait pas même d’être parlé. Je ne sais rien d’aussi peu lyrique, rien qui comporte aussi peu, qui supporte aussi mal la musique, que la causerie familiale et plus que familière des parens de Louise, ou les plaintes, reproches et réclamations de la mère venant reprendre Louise à Julien ; rien, si ce n’est les propos échangés vers quatre heures du matin, au pied de la butte Montmartre, par un chiffonnier, une laitière, une plieuse de journaux et deux sergens de ville, réunis autour d’une « poubelle renversée. » Dans une lettre de Dumas fils à Gounod, j’ai lu cette parole profonde : « Vous avez de la chance, vous autres musiciens, vous n’êtes pas forcés d’appeler les choses par leur nom. » Pourquoi renoncer, au lieu d’en profiter, à cette heureuse dispense ! Que la musique en soit jalouse, plutôt que d’en paraître, comme elle fait ici, dédaigneuse et presque humiliée. Aussitôt qu’elle l’abdique, elle se dégrade ; au contact de la parole indigne, ou seulement insignifiante, elle s’abaisse elle-même, au lieu de l’élever. Entre ces deux modes inégaux, que dis-je, inconciliables, de l’expression, un contraste et même une contradiction se produit. Elle peut devenir, Auber et surtout Offenbach en ont donné des exemples, un élément d’esprit, d’ironie légère ou d’énorme caricature ; j’ai peur qu’elle ne soit jamais que nuisible, et peut-être mortelle à la véritable, à la sérieuse beauté.

Il y a plus, et le style et peut-être l’action de Louise menace la musique non seulement dans sa dignité, mais en quelque sorte dans son étendue. En même temps que le langage le plus noble, la musique est le plus général et le plus mystérieux. À tous ces titres, elle ne doit exprimer ni rien de trop bas, ni rien de trop particulier ou de trop concret. Or, quand le chœur entonne devant Louise couronnée un refrain comme celui-ci : « C’est épastrouillant, abracadabrant ! C’est plus bath qu’à l’Opéra ! N’y a qu’à Montmartre qu’on voit ça ! » Il semble bien que le propre (si je puis dire) d’une telle allégresse et d’une telle acclamation soit à la fois d’être vulgaire et d’être spéciale. Voilà, pour la musique au moins, le second inconvénient des sujets modernes, de ceux qui, dans le temps ou dans l’espace, nous sont trop