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combine ou les isole, il les éloigne ou les rapproche avec le sentiment le plus juste et le plus délicat du paysage parisien. À cet égard, la fin du second tableau est une chose exquise. Nous disions que la qualité maîtresse de la musique de M. Charpentier, c’est la vie. Elle anime également les individus, la foule et jusqu’aux choses elles-mêmes. Elle emplit de son bourdonnement l’extraordinaire tableau de l’atelier de couture. Elle fait d’abord vulgaire, ou du moins trop facile à dessein, puis douloureuse et enfin déchirante, la sérénade chantée par Julien sous les fenêtres et qui décide Louise à partir. Elle éclate, elle déborde, cette vie, dans les chœurs débraillés et grouillans du couronnement de la muse. Vivans, le premier acte et le dernier : l’un, d’une vie tour à tour souriante et attristée ; l’autre, d’une vie d’abord irritée sourdement, puis exaspérée et tragique. Vivante, oh ! de quelle vie mélancolique et douce, matinale et printanière, cette fin du second tableau, dont le charme demeurera toujours en nous ! Louise a refusé de suivre Julien et, le laissant dehors, elle est entrée à l’atelier. Songeur, un peu chagrin, le jeune homme s’éloigne, et dans le silence, au tiède soleil d’avril, on n’entend plus, très loin, que les voix de Paris. Modestes et pauvres voix, mais familières, depuis notre enfance, à nos joies comme à nos peines Nessun maggior dolore, chantait naguère le gondolier sous les fenêtres de la pensive Desdemona. Elles chantent de même, ces voix qui sont aussi du peuple, elles chantent autour d’un héros moins noble, mais pensif aussi et malheureux, et telle est la magie de leur chant que nous doutons un moment si la ruelle de Montmartre ne vaut pas la lagune de Venise et si tous les êtres et toutes les choses n’ont pas les mêmes droits à la musique et des titres égaux devant la beauté.

Et pourtant ! pourtant !…

Dans son beau livre l’Art et la Nature, Victor Cherbuliez a raconté qu’un jour une dame qui adorait la musique lui demanda : « Avez-vous jamais rencontré un musicien réaliste ? Autant que je le puis savoir, ajouta-t-elle, un réaliste fait profession de croire que tous les hommes sont des coquins. C’est une chose qu’il peut dire en vers ou en prose, mais je le défie de la dire en majeur ou en mineur. » Puis la dame se répandit en propos étrangers, et même contraires à toute juste notion comme à toute définition exacte du réalisme musical. Enfin « elle fit une pause et je tâchai de lui prouver que le vrai réalisme n’était pas ce qu’elle pensait et qu’il a son mot à dire en musique comme dans tous les arts. Mais elle ne m’écouta pas. »

Elle eut tort. Elle aurait beaucoup appris. « La musique, lui aurait