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nom, l’amour de la musique — comme tout autre amour — doit consister et se plaire beaucoup moins à punir qu’à pardonner. Alors la musique en soi lui paraissait si belle, qu’il ne trouvait plus de musique entièrement dépourvue de beauté. « Vois-tu, Johannès, — c’est ainsi qu’il se gourmandait lui-même, — tu me semblés quelquefois très dur dans ton emportement contre toute musique sans génie. Est-il donc une musique absolument sans génie ? Et, en retournant la question, est-il donc une musique absolument accomplie, sinon chez les anges ?… Et puis, cher Johannès, le simple désir de faire de la musique n’est-il pas déjà quelque chose de vraiment touchant et qui réjouit »[1] ? Ainsi la bienveillance d’Hoffmann s’étendait sur toute musique, fût-ce la plus insignifiante ou la plus désagréable. Il excusait les amateurs et ne haïssait plus les virtuoses. Il écoutait avec patience, avec plaisir peut-être, les romances de salon, les chansons de la rue ou du grand chemin. « Les musiciens, disait-il, les musiciens ont raison, » et il leur pardonnait, il les aimait tous pour l’amour de la musique elle-même. Imitons cet amour et, si humbles, si modestes, si pauvres même que soient les dons que nous fait quelquefois la musique, élevons-nous au-dessus de tous les biens, jusqu’à celle qui donne.


Louise, qu’on attendait avec impatience et qui n’a pas trompé cette attente, témoigne d’un très grand talent et d’une erreur grave. On savait, d’ailleurs, à quel point était doué de l’un et capable de l’autre le musicien des Impressions d’Italie et de la Vie du Poète. Je ne connais des Impressions d’Italie qu’une variante ou une transcription. C’est une chanson de muletier, qui se chante en cheminant au soleil, sur quelque sentier des montagnes d’Albano ou de la Sabine. Chanson d’amour, de colère et de désespoir, les « grelots des mules sonores » l’accompagnent : un chœur lointain et délicieux de jeunes filles à la fontaine lui répond. Cela est éclatant et sauvage, dramatique et pittoresque. Au temps où le « jeune maître, » comme on appela très vite M. Charpentier, aimait d’assortir la couleur typographique à la couleur musicale de ses œuvres, il fit graver en bleu cette mélodie, et fit bien : elle est vraiment d’azur.

Dans la « nature » ou le « tempérament » de l’artiste, voilà la part de Rome. Paris, et plus spécialement Montmartre, en eut une autre et c’est la Vie du Poète. Trois grands morceaux forment cette symphonie

  1. Hoffmann, Kreisleriana (Fantaisies à la manière de Callot, traduction et introduction par M. H. de Curzon. 1 vol. ; Paris, Hachette).