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timbres, et tantôt le staccato et le legato se succèdent, tantôt, un solo de violoncelle est suivi par une pédale de cor.

Encore une fois, rien ne fait ici défaut. Pompes chevaleresques et royales, cortèges et chœurs sans accompagnement, fanfares sur la scène et carillons à l’orchestre, De profundis dans la coulisse et ballet de féerie avec la valse de rigueur, rien n’a été négligé par le très soigneux ouvrier de cette œuvre complète. Ainsi Lancelot reproduit avec fidélité l’appareil ou l’extérieur et jusqu’à la formule de ce qui fut naguère et de ce qu’on appelle encore un « grand opéra. » Et tout cela, semble-t-il, devrait être excellent, et tout cela pourtant n’est que passable. Pourquoi ? sinon parce que la raison ou le secret du génie n’est pas dans la formule, que dis-je ! dans la forme elle-même. Il n’est pas dans la forme, puisque des formes différentes, pour ne pas dire contradictoires, celles d’un Orphée et d’un Lohengrin, peuvent être belles également ; puisque des œuvres analogues par le dehors sont très souvent, au fond, prodigieusement inégales, et qu’un idéal unique, celui par exemple de l’opéra français ou celui du drame lyrique wagnérien, inspire à Meyerbeer les Huguenots ou le Prophète, et Lancelot à M. Joncières ; la Tétralogie ou Tristan à Wagner, et Fervaal à M. d’Indy. « La cause ! la cause ! » C’est en musique surtout qu’elle est mystérieuse et sans doute inaccessible. Sous les effets et les apparences, elle se dérobe sans cesse ; elle fuit devant les pauvres chercheurs que nous sommes, et sa fuite éternelle, qui fait le charme de notre recherche, en fait aussi l’incertitude et peut-être le néant.

Œuvre d’école, a-t-on dit de Lancelot, et cela n’est pas mal dit, à la condition que cela signifie une œuvre non pas d’inexpérience, encore moins d’ignorance, mais de tradition et de respect, une œuvre non pas contraire, mais conforme au passé, et qui se rapproche avec sagesse des grands modèles, plutôt que de s’en écarter avec fracas. Lancelot sans doute ne fera pas glorieux le nom de son auteur ; il le laissera justement honoré. Je crains même, en parlant d’une partition plus que beaucoup d’autres sincère et « de bonne foy, » je crains d’avoir manqué sinon de respect, au moins de cette sympathie dont on a dit, je crois, qu’en critique, elle est la grande méthode. Hoffmann a dit plus encore, ou mieux ; Hoffmann, le conteur fantastique, qui ne fut pas seulement un grand poète, mais un excellent musicien et un critique musical de premier ordre. S’il eut des jours d’enthousiasme et des jours de colère ou d’ironie, il en avait aussi d’indulgence et de bonté. Alors il se reprochait ses railleries et ses exigences. Alors il se souvenait que pour être véritable et digne de ce