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abîmes insondables, — et l’on avait de bonnes raisons pour y croire, puisque la descente de la corde s’était effectuée sans interruption, — méritaient d’être supposés peuplés de monstres bizarres ou effroyables comme les grands serpens de mer, ou bien gracieux comme les troupeaux du vieux Nérée, Neptune, Amphitrite, les Tritons, les Syrènes, et plus tard les Mermaids, les nymphes Scandinaves de l’Océan. C’était affaire de couleur, de limpidité de ciel ou de brume, d’eaux calmes ou agitées par la tempête, et, plus encore, du genre particulier d’imagination des divers peuples, portés à la rêverie aimable ou terrible, Phéniciens, Grecs, Arabes ou Scandinaves. Il a fallu trois mille ans à l’humanité pour comprendre pourquoi une ficelle portant un poids continuait indéfiniment à descendre, à travers une couche d’eau épaisse quoique néanmoins finie, et recouvrant un sol résistant. Que l’on se reporte non pas aux vieux portulans, ni même aux ouvrages scientifiques plus modernes, comme celui du Père Kircher, mais aux cartes de nos marins et de nos hydrographes de la première moitié du siècle, combien ne rencontrera-t-on pas de cotes de sondages surmontées d’un trait horizontal et d’un point, ce qui en langage hydrographique signifie que le fond n’a pas été trouvé après avoir filé une longueur de ligne représentée par le nombre inscrit au-dessous du trait. Il y a cinquante ans à peine, la frégate américaine Congress ne parvenait pas à atteindre le fond avec 15 240 mètres de corde.

Les anciens ne se préoccupèrent pas outre mesure de la question. Ils traitaient philosophiquement l’étude de la nature, et jamais philosophe ne fut embarrassé pour fournir une excellente explication à quoi que ce soit. La connaissance des petits fonds voisins des côtes suffisait aux besoins de la navigation. On employait comme aujourd’hui des plombs de sonde. Hérodote cite cette méthode de navigation comme habituelle aux approches de l’Egypte, et il raconte même que le plomb rapportait un échantillon du fond. Plutarque et Pline le Naturaliste, d’après Fabianus, donnaient à la mer une profondeur maximum de 10 ou 15 stades, c’est-à-dire 2 760 mètres environ, tout en admettant l’existence de gouffres sans fond dont ils indiquaient la place, dans le Pont-Euxin par exemple. Un siècle avant l’ère chrétienne, Posidonius tentait le premier d’exécuter avec précision des sondages profonds ; il trouvait le fond par 1 000 brasses, au voisinage de la Sardaigne, et ses procédés, quoique demeurés inconnus, ne devaient pas