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La draperie a donc été peinte après coup, mais quand ? Avant 1653 sans contredit, car cette année vit paraître les gravures que Carlo Cesi venait d’exécuter d’après les peintures de la Galerie, et l’estampe consacrée à la Galatée est de tout point conforme à la fresque, telle qu’elle se présente à nos yeux. Le cardinal Odoardo mourut, à la vérité, en 1626 ; on pourrait donc admettre, sans invraisemblance, que la grave décision de voiler la nudité provocante de la néréide fut prise après sa mort. L’hypothèse ne repose pourtant pas sur un fondement bien solide. Odoardo est en effet le dernier Farnèse qui ait fait sa résidence habituelle du palais de Campo de’Fiori. Les ducs de Parme, propriétaires de l’édifice, séjournaient naturellement dans leurs États. Qui aurait osé prendre, dans ces conditions, la responsabilité de porter une main téméraire sur des peintures que les Romains n’avaient plus qu’exceptionnellement l’occasion de voir ?

Ici se place une anecdote qui, si elle était accueillie sans réserve, jetterait un jour défavorable sur le caractère du cardinal Odoardo. Elle apparaît pour la première fois dans le livre de Baglioni. Annibal ayant accompli sa tâche à la satisfaction générale, s’attendait à recevoir une récompense proportionnée tant à son mérite qu’à l’opulence de son patron. Il comptait sans un certain don Juan qui jouissait de la faveur de Farnèse. Ce courtisan, pour montrer qu’il prenait les intérêts de son maître, aurait fait remettre à Carrache cinq cents écus dans une soucoupe. Bellori se borne à ajouter quelques traits supplémentaires à ce récit. Odoardo se disposait, paraît-il, à récompenser dignement son peintre ordinaire quand le gentilhomme espagnol, de son vrai nom Don Juan de Castro, intervint avec un à-propos dont la mémoire du cardinal ne doit lui savoir aucun gré. Supputant ce qu’Annibal avait reçu sous toutes les formes depuis son arrivée à Rome, il engagea Farnèse à lui allouer une gratification extraordinaire de cinq cents écus, ce qui fut fait. Carrache était le désintéressement en personne ; il n’en fut pas moins frappé au point le plus sensible de son être ; mais il avait l’âme trop haute pour protester. Il se tut et dévora silencieusement le mortel affront. Telle est la relation que l’histoire a enregistrée sans en vérifier l’exactitude. À la distance qui nous sépare des événemens, et en l’absence de documens authentiques, il est bien difficile de se prononcer. Il semble avéré, comme on l’a vu, qu’aucun contrat n’était intervenu entre le grand seigneur et l’artiste : celui-ci était entré purement et simplement au service