Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
ANNIBAL CARRACHE.

Admettant a priori que les chefs de cette école partent de principes erronés, la critique conclut logiquement que leurs efforts ne peuvent aboutir qu’à un avortement. Elle condamne en bloc les ouvrages de ces maîtres, comme si, dans l’école de Bologne, tous les peintres se ressemblaient, comme si les Carrache formaient une unité indivisible en trois personnes, comme si, enfin, il n’y avait aucune distinction à faire dans l’œuvre d’Annibal.

Ce qu’on peut d’abord affirmer, c’est qu’au point de vue de la conception générale, Annibal s’est montré le digne continuateur des grands artistes de la Renaissance. Sous la voûte de la Galerie, il a déployé les qualités de l’architecte aussi bien que celles du peintre, ou plutôt il a prouvé qu’il possédait les dons multiples nécessaires à un véritable décorateur. D’une salle nue, informe, il a fait un monument dont les parties sont en harmonie entre elles et avec le tout. Il a judicieusement divisé l’espace, accordé aux peintures proprement dites la part qui leur convient, ordonné les saillies et les enfoncemens de façon à produire l’illusion. La voûte semble-t-elle quelque peu pesante et surchargée, les pilastres, les hermès de pierre surgissent pour nous rassurer ; ils sont assez forts pour soutenir l’édifice. Si dans la courbure de cette voûte paraît quelque profusion, elle ne laisse pas d’avoir sa raison d’être. Le premier mérite d’une œuvre décorative est de répondre à la destination du lieu qu’elle est appelée à embellir. Or, Annibal avait reçu l’ordre de préparer une salle de fêtes pour un des plus riches, un des plus puissans personnages de la cour romaine. Là, aux jours de réception, devait se presser une société d’élite, des grands seigneurs superbes dans leurs costumes à l’espagnole, de nobles dames couvertes de joyaux, des dignitaires de l’Église imposans sous la pourpre ou le manteau violet. A de tels hôtes, il fallait un cadre à part. Si on doit s’étonner de quelque chose, c’est qu’Annibal ait résisté à la tentation d’étaler sur les murs des compositions à grands spectacles. Il ne perdit jamais de vue qu’il travaillait à Rome dans le palais de San Gallo. Au-dessus des pompes modernes, il voulut faire planer les dieux dans leur antique simplicité. Il ne se montra prodigue que dans les parties purement décoratives ; les scènes qu’elles encadrent se distinguent par une indéniable sobriété. C’est ainsi qu’il réussit à répondre aux désirs d’Odoardo, sans transiger avec les lois immuables de l’art.

En vue de rendre parfaites ses grandes compositions, Annibal n’épargna aucun effort. Il ne prenait la brosse qu’après avoir