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REVUE DES DEUX MONDES.

« Sur cela, il (Bernin) a rapporté un exemple notable d’Annibal Carrache et d’Augustin, lesquels, ayant entrepris de peindre la galerie Farnèse, Annibal se chargea de travailler à la composition des histoires et laissa à son frère Augustin le soin des compartimens et ornemens de la voûte ; que celui-ci en fit un dessin d’une belle entente et magnifique où tout concourait régulièrement à un point de vue qu’il avait même tout tracé sur le lieu. Après quoi, il avait convié Annibal à voir son ouvrage et que celui-ci, qui avait un cervellone grande, a-t-il dit, y étant allé et s’étant mis au lieu où son frère le plaça, il convint d’abord que l’ouvrage était fait pour être vu de ce seul point. L’ayant considéré, il lui dit qu’il était beau extrêmement, mais que pour en avoir le plaisir d’en jouir, il fallait qu’il fît faire un corridor qui conduirait droit à ce lieu-là où serait une belle chaise couverte, de dedans laquelle l’on verrait commodément la distribution qui de tous les autres endroits ne pourrait contenter les yeux ni l’esprit, et n’aurait qu’un mauvais effet. Ce qu’Augustin Carrache ayant entendu et vu que son frère se moquait de lui, il se dépita et lui dit donc de faire l’ouvrage à sa fantaisie, ce qu’Annibal exécuta de la sorte que l’on voit. »

Je ne sais le crédit qu’il convient d’accorder à l’histoire du célèbre cavalière qui n’était pas encore né quand Annibal entra au service de Farnèse ; elle courait probablement les ateliers de Rome, et n’est pas en désaccord avec ce que les historiens racontent du caractère des deux frères. On peut donc admettre avec la tradition, jusqu’à plus ample informé, que l’idée générale fut conçue par Annibal. Les cartons du Louvre renferment, sous le no 7416, un croquis à la plume d’un haut intérêt. On y voit l’artiste aux prises avec les problèmes complexes qui se posaient à son esprit en face des murailles nues et blanches. On rencontre, au milieu de traits tracés rapidement par une main exercée, la plupart des idées qui ont trouvé place dans l’exécution. D’autres ont disparu ou ont été modifiées. Il s’agit d’un projet relatif à une des extrémités de la galerie. Parmi d’autres ornemens, figure un fond parsemé de fleurs de lys qui a été finalement écarté. Un dessin du Musée de Lille, également à la plume, représente le cyclope Polyphème jouant de la syrinx. La pensée a déjà trouvé son expression et les personnages occupent à peu près la place qui leur, restera, mais tandis que le projet comportait un tableau plus large que haut, celui qui a été exécuté est plus