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ANNIBAL CARRACHE.

attaché. Il y a des circonstances où il faut vaincre absolument. La création de Carrache devait soutenir victorieusement le parallèle avec les monumens du passé. Toute constatation d’infériorité exposait inévitablement l’artiste aux jalouses et brutales invectives d’un Caravage ; il ne lui restait plus qu’à reprendre le chemin de Bologne avec sa courte honte.

Annibal comprit la gravité de sa situation. Au lieu de se jeter en avant avec ses seules forces, il se recueillit, cherchant à se pénétrer peu à peu des leçons que Rome fournit à ceux qui l’étudient. Bellori rapporte que Carrache fut tout d’abord frappé du grand savoir des anciens et qu’il se livra dans le silence à la contemplation de l’art. Les antiques produisirent une impression durable sur son esprit. Il éprouvait la joie de dessiner les chefs-d’œuvre du Vatican, les statues de marbre et de bronze du palais Farnèse, il démêlait l’influence de la Grèce et de la Rome impériale dans les fresques de Michel-Ange et du Santi. Les réflexions qui s’imposèrent à son esprit, les études profondes auxquelles il se livra, modifièrent radicalement son talent. Dans le camerino, il était resté au-dessous de lui-même : il se surpassa dans la galleria.

Nombre de critiques se donnent de nos jours le tort de juger une composition décorative comme ils feraient d’un simple tableau de chevalet. Quand un peintre contemporain prépare un envoi pour le Salon, il n’obéit d’ordinaire qu’à ses propres convenances. C’est tout au plus si, d’une façon générale, en vue d’obtenir une récompense ou pour se défaire plus avantageusement de sa toile, il se conforme au goût du public ; s’il échoue, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Annibal se trouvait dans une condition bien différente. Il lui fallait, de toute nécessité, contenter le cardinal Farnèse, tenir compte de la nature des lieux, de la situation de la Galerie, de la lumière qui l’éclairait, des matériaux mis à sa disposition. Que de problèmes à résoudre, que d’obstacles à surmonter !

Au moment où le Bolonais s’absorbait dans son travail, il avait déjà son frère auprès de lui. Or, Augustin, par l’étendue de ses connaissances et la variété de ses aptitudes, semblait devoir être pour son cadet un conseiller naturel. Il est probable qu’il fut consulté par Annibal ; mais ses avis furent-ils bien accueillis ? On l’ignore. À ce propos, M. de Chantelou note une curieuse anecdote que lui avait contée le Bernin : elle mérite d’être conservée