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ANNIBAL CARRACHE.

à la fois formaliste et mondaine. Bon gré, mal gré, la peinture suivit le mouvement. Une heureuse révolution purgea les compositions religieuses des motifs profanes qui les dégradaient trop souvent ; la décence y reparut : le nu en fut presque exclusivement banni. Mais la peinture religieuse ne cessa d’être incrédule ou indifférente que pour devenir futile et dévote.

Les artistes jouissent rarement d’une indépendance absolue : celle des peintres de ce temps, sitôt qu’ils touchaient aux sujets sacrés, était fort précaire. Non seulement ils devaient se soumettre au goût généralement discutable de leurs patrons, mais la surveillance ecclésiastique leur imposait une sévère contrainte. Enfin, comme les tableaux religieux étaient destinés à parer les autels et non à enrichir des musées, les peintres étaient tenus de se conformer à la décoration intérieure des temples. Or, c’était l’époque où le style dit des jésuites transformait les anciennes églises, quand il ne présidait pas à l’édification des nouvelles. Quel effet auraient produit des panneaux comme ceux de Fra Angelico ou de Lorenzo da Credi dans les chapelles à la mode ? L’ornementation des nefs exigeait des compositions pompeuses, des scènes pittoresques et dramatiques, des mouvemens passionnés. C’est à produire des œuvres de ce genre que les artistes s’ingénièrent avec des aptitudes diverses. Ils réussirent à charmer plusieurs générations d’hommes : voilà leur excuse ! Mais, si cette peinture à effet exigeait beaucoup d’art, elle exclut trop souvent l’émotion. Or, « si votre cœur n’est pas ému, dit quelque part le docteur Faust, vous ne trouverez pas le chemin du cœur des autres. » La critique moderne, qui a fait une étude comparative des ouvrages sortis de la main des hommes, s’est prononcée contre un genre qui lui a paru avoir perdu sa raison d’être. Reste à savoir si son jugement est sans appel.

C’est en abordant des sujets d’un autre genre qu’Annibal devait acquérir ses véritables titres à notre admiration. La peinture profane offrait aux artistes un champ illimité qu’ils pouvaient parcourir avec plus d’indépendance. Or, le génie du plus jeune des Carrache avait précisément besoin de liberté pour s’épanouir. Délivré de contraintes gênantes, les dons qu’il avait reçus de la nature purent se donner carrière. Il se révéla sous un jour tout nouveau, avec une originalité qu’on ne soupçonnait pas.

Malvasia prétend, dans sa Felsina Pittrice, qu’il conservait comme un trésor une lettre dans laquelle le duc de Parme,