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avait vu la peinture italienne passer par les différens degrés qui séparent l’adolescence de la vieillesse. Seule l’école vénitienne soutenait encore dans le monde la réputation de la péninsule. Partout ailleurs, du Nord au Midi, les artistes, abandonnant sans y prendre garde les traditions éblouissantes des primitifs et des renaissans, inclinaient de plus en plus vers les pratiques d’un réalisme sans élévation, ou tombaient dans les excès du maniérisme, plus misérable encore.

Le nom des Carrache est attaché, dans l’histoire de l’art, à une tentative de réaction contre ces tendances malheureuses. Louis Carrache avait vu le jour en 1555. C’était un artiste persévérant et convaincu plutôt qu’inspiré qui, pour régénérer l’art, crut qu’il fallait, de toute nécessité, se consacrer respectueusement à l’étude des maîtres. Il entreprit de longs voyages pour aller chercher au dehors des modèles que Bologne ne pouvait lui offrir. À Venise, le Tintoret lui conseilla de déposer ses pinceaux. Louis avait de la ténacité dans le caractère : il persévéra, revint dans sa patrie et y commença des travaux appréciés. Il avait deux cousins un peu plus jeunes que lui : Augustin, né en 1557 et Annibal, né en 1560. Augustin avait commencé par être graveur, mais son intelligence prompte le portait à tout embrasser, à tout étudier, à tout connaître. Il avait une facilité générale qui lui permit d’aborder la musique, l’astronomie, la philosophie aussi bien que les arts plastiques. Par-dessus tout, il se piquait d’être beau parleur et se plaisait à disserter sur tous les sujets. Annibal ne laissait pas percer des dons aussi universels. Lui-même avoue dans ses lettres qu’il ne sait pas rendre tout ce qu’il ressent, mais il sentait profondément. La nature l’avait doué, en outre, d’une facilité singulière pour reproduire par le dessin les formes qui se présentaient à ses regards. On le destinait au métier d’orfèvre, mais son père dut reconnaître bien vite que la Providence lui réservait de plus nobles destinées, et Louis, frappé de ses dispositions précoces, le prit avec lui. Louis était la modestie en personne. Au lieu de vouloir retenir le jeune homme sous sa direction, il lui conseilla bientôt de voyager, comme il avait fait lui-même. Annibal partit et sa première station fut Parme.

À peine arrivé dans cette ville, le voyageur, qui avait vingt ans, s’éprit d’une belle passion pour le Corrège. Il exhala son enthousiasme dans la correspondance qu’il entretenait avec Louis. Malvasia cite intégralement deux de ses lettres qui portent