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l’importance que nous donnons à leurs entours et l’attention soutenue et exclusive que nous y attachons. L’intérêt est dispersé et dispersé de telle sorte que c’est le cadre qui nous fait oublier le tableau. C’est bien alors, c’est alors surtout que le roman historique parait un genre faux. Il paraît un genre… maladroit. On se dit : « puisque l’Egypte est le principal, quel besoin de me l’enseigner à l’aide d’une fiction romanesque, au lieu de me l’enseigner directement ? » A la vérité, c’est nous qui nous trompons et l’Egypte n’est nullement « le principal. » Mais notre ignorance de l’Egypte et notre désir de l’apprendre fait qu’elle le devient pour nous et, dès lors, les personnages et le récit sont comme mis en disgrâce et, comme tous ceux qui ont été disgraciés, sont importuns à reparaître.

C’est exactement ce qui est arrivé à Salammbô. Carthage était trop inconnue pour qu’un roman carthaginois ne fût pas lu avant tout comme une série de renseignemens sur la Carthage antique. Dès qu’il était lu dans cet esprit, dans cette préoccupation, il cessait d’être intéressant comme roman, et l’on en voulait presque à l’auteur de ce qu’il y avait des personnages.

Le roman placé dans une période de l’histoire relativement bien connue du lecteur est lu dans un état d’esprit tout différent. La curiosité s’y partage sans s’y disperser. Elle a comme son point central où elle se ramène après quelques regards jetés de côté et d’autre, mais qui ne se prolongent pas, n’appuient pas et ne la détournent point définitivement. Pays, climat, monumens, caractère général de l’époque, mœurs du pays et du temps, nous connaissons tout cela en gros, nous le reconnaissons avec plaisir ; ce que le romancier y ajoute de détails nouveaux pour nous nous intéresse sans nous absorber et nous amuse sans nous distraire. Nous ne nous écartons pas pour autant de l’objet principal. Et c’est ainsi qu’est conçu Bélisaire, roman d’intérêt insuffisant ; mais pour d’autres raisons ; et c’est ainsi qu’est conçu les Martyrs où le cadre, pourtant si riche, ne détourne point l’attention du tableau. C’est que ces temps où sont placés Bélisaire et les Martyrs nous sont connus, assez pour que notre curiosité ne s’y attache pas tout entière, assez peu encore pour que nous soyons heureux qu’on nous les décrive et surtout qu’on en rajeunisse par le talent la notion que nous en avons.

Cette mesure est difficile à garder ; mais, selon que l’époque est plus ou moins connue, soyez sûrs qu’il faut ou donner avec