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il est encore plus faux qu’elles, ce qui décidément est un peu trop. — Je ne crois pas. Le roman historique, quoique constitué des mêmes élémens que la tragédie et l’épopée, est suffisamment distinct de l’une et de l’autre pour être un genre à part ; très précisément délimité. Laissons de côté la tragédie qui, par sa forme, et par ses moyens d’exécution, est un genre suffisamment tranché pour ne se confondre avec aucun autre. Mais entre l’épopée et le roman historique, il y a des différences, que je ne dirai pas qui soient essentielles, ce qui ne serait, comme on l’a vu, aucunement mon avis ; mais qui sont encore assez considérables pour que soit légitime l’existence de deux genres différens et plutôt parens que voisins.

Il me semble que l’épopée doit exciter l’admiration et le roman historique exciter et satisfaire la curiosité. L’épopée est naturellement héroïque. Des vieilles règles qui donnaient comme fond du poème épique « le merveilleux » il reste ceci, qui démontre par parenthèse qu’elles n’étaient point si sottes ; que le caractère général de l’épopée doit être une certaine « grandeur » et que l’épopée doit avant tout nous étonner et nous imposer. Pourquoi le mot « poème épique, » appliqué assez longtemps au Télémaque est-il tombé peu à peu, et pourquoi le mot de « roman mythologique », s’est-il peu à peu substitué au premier ? Parce que, ce me semble, toute grandeur est absente du Télémaque et que c’est de charme et non de grandeur qu’il faut parler quand on y songe. Le Télémaque n’impose pas ; il intéresse, il instruit, il est ingénieux, c’est le plus artistique des Anacharsis, il excite et il satisfait agréablement la curiosité : pour les gens d’aujourd’hui la définition en est trouvée : c’est un roman. — Pourquoi hésite-t-on sur le nom à donner aux Martyrs ? « C’est un roman » paraît trop faible ; « c’est une épopée » paraît trop fort et déclamatoire. Mais c’est que les Martyrs mérite tantôt un de ces noms et tantôt l’autre. C’est qu’il y a des parties où les Martyrs est une épopée et des parties où il est un roman ; c’est qu’il y a des parties où il excite surtout l’admiration et des parties où il n’excite, encore que très vivement, que la curiosité. Et encore, comme la postérité dans les ouvrages qu’elle a adoptés ne tient compte que des parties supérieures, c’est très généralement le mot de poème épique qu’elle applique à l’œuvre de Chateaubriand. Qu’en conclure ? Sur les Martyrs, que c’est une grande œuvre inégale ; sur la question générale, que la nation des lecteurs sait très bien qu’il