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Châteaubriand, Vigny, Mérimée, Hugo, Dumas, Balzac, qui ne laisse pas d’avoir écrit les Chouans, George Sand, qui ne laisse pas d’avoir écrit les Beaux Messieurs de Boisdoré, Mauprat et Consuelo ; — et puis qu’il y a comme un grand trou à partir de 1850, que le roman historique ne compte plus à son actif que Salammbô, plutôt poème épique que roman, et les Misérables, plutôt roman social que roman historique.

C’est, bien entendu, le roman réaliste qui a tué net le roman historique. Rien n’est plus naturel. Le roman historique a deux ennemis : le roman réaliste et le roman romanesque ; mais, de ces deux, le plus implacable est le premier. Le roman romanesque aime l’imagination pure et même la fantaisie ; il vit de rêve, comme, plus tard, il est fécond en rêves et les fait naître par milliers ; cependant il s’accommode de l’histoire, qui est, comme on sait, matière très plastique, que l’on transforme à peu près à son gré, et domaine si vaste qu’il a ceci de commun avec l’irréel qu’il est illimité. Témoin George Sand, qui ne se trouvait à l’aise que dans l’imagination et qui ne se trouva point gênée dans Consuelo, dans les Beaux Messieurs, dans Mauprat et dans Cadio, que j’oubliais et qu’il ne faut pas omettre, puisqu’il contribue à prouver que George Sand a fait quelques excursions dans le roman historique à des âges très différens et à des momens très éloignés les uns des autres au cours de sa longue carrière.

Mais le roman réaliste est l’ennemi, mortel, celui-ci, du roman historique. Le roman réaliste ne veut peindre strictement, exclusivement, que, ce qu’il voit. Il a raison. La réalité est si difficile à saisir, que même en se bornant à regarder, on n’est point sûr de la surprendre ; on n’est point sûr de n’y pas ajouter. La conscience même du roman réaliste lui défend de se « documenter » par les livres, sauf à titre de contrôle ; mais tirer directement des livres un récit réaliste, c’est contradictoire ; c’est au moins très téméraire ; c’est être infidèle à la règle même de l’art. Un Français du XIXe siècle n’observe pas le XVIIIe ; il en parle d’après ceux qui l’ont observé ; il n’est plus réaliste, puisqu’il n’est plus observateur.

Le mélange de l’histoire dans le roman réaliste marque les incertitudes de ses débuts ou les défaillances de son déclin. Le créateur du roman réaliste, c’est Le Sage, et, du reste, il en demeure le modèle incomparable. Cependant, parce que le roman réaliste est avec lui à ses débuts, — et ici la question de talent et