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négligé de recourir à toutes les ressources qu’elle pourrait donner, s’il se rencontrait par hasard une main assez habile et assez ferme pour en tirer parti, de sorte qu’il est question de la changer avant même de l’avoir complètement éprouvée. On en viendra là peut-être, le vent pousse de ce côté ; mais nous ne sommes pas sûrs qu’il nous conduise au port après la tourmente, et il restera à la charge du personnel politique actuel la très lourde responsabilité devant l’histoire d’avoir abouti à un avortement.

Ces considérations générales ne nous ont pas éloigné du ministère autant qu’on pourrait le croire ; elles aident au contraire à comprendre sa situation et la nôtre. Nous ne savons pas si M. Waldeck-Rousseau, lorsqu’il s’est donné M. Millerand pour collègue, s’est rendu compte lui-même de toutes les conséquences que devait avoir sa fantaisie ; mais il a porté le dernier coup à l’existence des partis tranchés, distincts et disciplinés qui font à la fois l’honneur et la force du gouvernement parlementaire. Il a fait l’acte de scepticisme le plus absolu à l’égard de ces partis ; il les a traités comme s’ils n’étaient pas, comme s’ils ne correspondaient à rien de réel et de sérieux, comme s’ils remplissaient l’office d’une figuration conventionnelle, d’ailleurs usée et démodée, derrière laquelle il n’y avait que le néant. Il a prononcé leur arrêt de mort, et, les partis n’ayant point protesté, on peut croire qu’ils sont morts en effet. Ce n’est plus en eux qu’on trouvera le fondement solide sur lequel on peut asseoir une politique, ou du moins, il faut au préalable les reconstituer et les régénérer. Il n’y a plus dans la Chambre que des individus isolés, qui se défient les uns des autres point de groupemens fixes, point de majorité. Et nous ne saurions dire combien cela est alarmant.

Le pays, en effet, se détache de plus en plus du parlementarisme actuel, qu’il accuse de toutes ses déceptions et dans lequel il n’a plus d’espérance. Il cherche des formes nouvelles, des partis nouveaux, des dénominations inusitées ; et, si l’heure de la révision vient à sonner, tous ces sentimens feront explosion avec une violence désordonnée. A défaut de la révision, il y aura des élections législatives dans deux ans. À ce moment, le ministère actuel ne sera plus aux affaires, et sans doute depuis longtemps ; mais le mal qu’il aura fait subsistera encore, et nous souhaitons qu’il ne nous condamne pas à une épreuve que notre constitution débilitée n’aura plus la force de supporter.


Nous ne sommes pas le seul pays où le gouvernement parlementaire ne donne plus des résultats aussi satisfaisans qu’autrefois. Le