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Malheureusement, il n’y a pas de remède qui guérisse sans quelque collaboration de la part du malade, et, cette fois, le malade s’abandonne, il ne cherche plus à lutter. En dehors de M. Méline, sur lequel tout le monde s’acharne, probablement à cause de cela même, personne ne veut prendre la peine d’organiser un parti avant d’entrer au gouvernement : on aime mieux attendre du hasard, souvent propice, l’occasion de devenir ministre. On devient ministre, en effet, mais pour quelques mois à peine, ministre sans point d’appui dans la Chambre et encore bien moins dans l’opinion. On est ministre, non pas pour appliquer ses propres idées, lorsqu’on en a, mais plutôt, et sous prétexte de conciliation, une partie de celles de ses adversaires. On arrive par l’intrigue, on se soutient par des ménagemens qui s’appliquent moins encore aux choses qu’aux personnes, et cela dure deux ou trois trimestres. Après quoi on bat de nouveau les cartes, et on distribue le même jeu entre les mêmes mains. Pour le gouvernement parlementaire ainsi pratiqué, la tribune devient un meuble presque inutile, et dont on fait un usage de plus en plus modéré. C’est dans les couloirs, dans les conversations qu’on échange, dans les concessions mutuelles qu’on se fait en secret, que s’élabore le vrai travail parlementaire. Le pays n’en sait rien, et n’y comprend rien. Comment s’étonner s’il se désintéresse de plus en plus de ces conciliabules où il n’est pas admis, et qu’il ne connaît que par les indiscrétions toujours suspectes de quelques journaux ? Il faudrait pour cela qu’il eût une foi robuste, une confiance sans bornes dans les augures qui se livrent loin de lui à ces mystérieuses opérations. Peut-être s’arrangerait-il quand même de cette politique dont on lui cache les ressorts, si les résultats en étaient satisfaisans pour lui ; mais ce n’est pas l’impression qu’il en éprouve. Le malaise est aujourd’hui partout. On regarde du côté des Chambres, on ne voit rien ; on écoute, on n’entend rien. S’il y avait aujourd’hui dans le parlement un homme qui eût fait ses preuves, et qui eût tenu au pays le langage que le pays attend ; s’il avait su grouper autour de lui un certain nombre de bonnes volontés ; s’il apportait avec lui une politique de quelque fécondité, sa puissance serait d’autant plus grande que l’impuissance des autres est plus avérée. Mais cet homme nous manque. Ce sont là des faits contre lesquels toutes les révisions du monde ne peuvent rien. Il n’y a pas de constitution qui vaille par elle-même, et qui puisse se passer d’hommes pour la mettre en œuvre. Celle que nous avons n’est, quoi qu’on en dise, inférieure à aucune autre et, pendant quelques années, elle a marché très suffisamment ; mais il y avait alors des hommes et des partis. On a même