tout navire engagé dans ce dédale d’îlots, dont un grand nombre ne découvrent jamais, ne sont reconnaissables qu’au bouillonnement des vagues, et même ne sont pas tous exactement connus et repérés, est perdu ou en voie de perdition.
L’un des derniers de ces écueils est le rocher d’Ar-men, qui ne présente à mi-marée qu’une longueur de 13 mètres, et une largeur de 7 mètres. Sur ce socle étroit et souvent inondé, on est parvenu au prix de mille efforts à sceller une tour de près de 30 mètres de hauteur, surmontée d’un phare muni de tous ses aménagemens, comprenant, avec des approvisionnemens pour plusieurs mois, le logement des paisibles veilleurs qui acceptent stoïquement un isolement auquel il est quelquefois difficile d’assigner une limite, et dont la vie d’obscur dévouement est coupée quelquefois d’épisodes tragiques. L’extrême violence de la mer et des courans autour de la roche d’Ar-men, dans le Raz et à tous les abords de Sein, avait même, pendant un certain temps, fait considérer cette entreprise comme une généreuse folie ; et nulle part les ingénieurs n’ont eu à déployer plus d’audace, de prudence et de fermeté. L’abordage de l’écueil présente, en effet, même par les plus beaux temps, de très sérieuses difficultés, pour ne pas dire quelques dangers. La période de construction a duré quinze ans et le travail des premières années a exigé une énergie véritablement surhumaine. Au début, dans une période de deux ans, on n’avait pu réussir sur le terrible écueil que 23 accostages ; et les ouvriers couchés à plat ventre sur la roche glissante, à chaque instant balayés par l’écume des vagues, se cramponnant d’une main à quelques faibles saillies et perçant de l’autre des trous de fleuret destinés à recevoir les scellemens en fer qui devaient retenir les premières assises de la construction et les fixer solidement dans le granit, n’ont pu fournir que vingt-six heures de travail effectif.
Même encore aujourd’hui que les travaux sont complètement achevés et que des intérêts de la plus haute gravité commandent d’assurer à tout prix la continuité de ce feu de premier ordre, l’approvisionnement du phare, auquel on ne peut jamais aborder directement, à jour et à heure fixe, est une opération très délicate, quelquefois incertaine, et ne peut avoir lieu que par un va-et-vient aérien, au moyen d’une ligne de loch que l’on lance de la tour sur le petit bateau à vapeur qui vient mouiller à quelques encablures. L’entretien régulier d’un pareil édifice est réellement,