toute la force accumulée dans leur course de mille lieues à travers l’Atlantique. Mais la lutte est inégale entre les deux élémens, et les débris de rochers entassés, les milliers d’écueils, de récifs, de bancs sous-marins, d’îlots de toute forme et de toute dimension disséminés au large, témoignent de la puissance destructive de l’Océan, supérieure à tous les moyens de défense que l’homme a vainement tentés.
Nulle part peut-être sur toutes les côtes de l’Europe, cette puissance ne se manifeste d’une manière plus grandiose qu’aux deux pointes extrêmes du Raz et de Saint-Mathieu. La première est prolongée en mer par l’île de Sein, les écueils de Pont-de-Sein et d’Ar-men, la seconde par la chaussée des Pierres-Noires et l’archipel d’Ouessant. Le premier groupe peut s’appeler la chaussée de Sein, le second la chaussée d’Ouessant. Tous les deux sont des fragmens détachés du continent, et lui étaient soudés à une époque indéterminée, très lointaine sans doute, peut-être antérieure aux temps historiques les plus reculés, mais postérieure bien certainement aux dernières transformations géologiques de notre écorce. Pour le géologue, et même pour l’historien préhistorique, Ouessant et Sein ont fait réellement partie de l’Armorique primitive, et constituaient les deux musoirs, aujourd’hui ruinés, rompus, et en grande partie noyés, de l’ancienne mer de l’Iroise, beaucoup plus vaste et plus ouverte que le golfe de nos jours.
La petite île de Sein, l’Enez-Sigun des Bretons, n’a plus aujourd’hui que 1 800 mètres de l’Est à l’Ouest, à peine 800 mètres dans sa plus grande largeur du Nord au Sud, une centaine d’hectares au plus. Elle est isolée du Bec du Raz par un détroit de 8 kilomètres qu’on appelle le Raz de Sein ; on sait que le mot breton raz signifie courant violent, — raz de marée ; et jamais nom ne fut mieux donné. Le bras de mer qui sépare l’île du continent est en effet toujours traversé par des courans très complexes et souvent presque subits qu’on a bien essayé quelquefois d’expliquer, ce qui n’avance pas à grand’chose, puisqu’on ne peut ni les modifier, ni les éviter, ni les prévoir. En mortes eaux et par des temps relativement calmes, ces courans sont encore de 3 à 4 nœuds à l’heure ; ils atteignent quelquefois 8 à 10 nœuds, et les bateaux ne gouvernant plus peuvent à chaque instant être violemment projetés sur les rochers de droite ou de gauche du détroit. En somme, le passage est souvent absolument impossible, toujours difficile et dangereux. « Nul n’a traversé le raz sans avoir peur ou mal, » dit un