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tous les soirs sur nos côtes, et qui est, pour les navires, comme un second firmament descendu pour eux du ciel. L’ancienne étoile a été remplacée depuis par un éblouissant soleil, dont les scintillemens électriques ont une portée de 100 kilomètres par les temps clairs, et de 40 par les temps de brouillard, une puissance lumineuse de 30 millions de bougies ou de 3 millions de becs Carcel. La tour de granit qui supporte ce merveilleux fanal, le premier aujourd’hui du monde entier, a 60 mètres de hauteur ; elle peut ainsi servir d’amer pendant le jour. Jour et nuit en temps de brume, le signal visible ou la lumière sont remplacés par des signaux acoustiques d’une pénétrante intensité. Trophée grandiose qui porte un nom glorieux, le phare d’Eckmühl a été construit sur l’initiative et en exécution des dernières volontés de l’héritière de l’illustre maréchal de l’Empire. « Les vies sauvées par la tempête rachètent ainsi, pour employer les expressions mêmes de la généreuse donatrice, les larmes versées par la fatalité de la guerre. » Au point de vue de l’art, c’est un des plus hardis monumens de notre époque ; mais il est surtout touchant par le cœur qui l’a inspiré. Le phare d’Eckmühl est une véritable œuvre de la providence humaine. Un sérieux port de refuge dans les mêmes parages doit nécessairement te compléter un jour, et ce serait un aussi grand bienfait.

VI

A Penmarc’h la côte bretonne change brusquement de direction ; elle court droit au Nord. Du phare d’Eckmühl au phare du Four qui se dresse sur un petit îlot, avancé dans les redoutables parages de l’archipel d’Ouessant, on ne compte guère plus de 70 kilomètres à vol d’oiseau ; 300 au moins, si l’on suivait toutes les indentations de la côte. Le large golfe de l’Iroise, qui commande la rade de Brest et la baie de Douarnenez, pénètre profondément dans le massif de granit, se ramifiant en échancrures nombreuses, du dessin le plus varié, flanqué de deux magnifiques promontoires, la pointe du Raz et le cap Saint-Mathieu, dont les deux énormes saillies sont aperçues de très loin par les bateaux venant du large. La péninsule armoricaine s’avance ainsi en mer au-devant de l’Océan, comme la proue d’un gigantesque navire armé d’une double paire de cornes menaçantes. Les vagues bouillonnent au pied des falaises qui les entourent et qu’elles attaquent avec