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côtes de Bretagne. La grande pêche d’Islande n’est pour eux qu’une aventure, un épisode souvent tragique. La véritable pêche est la pêche côtière. Presque partout dans les eaux bretonnes, la faune marine est d’une richesse incomparable. Les saumons, les harengs, les maquereaux, les langoustes, les huîtres, s’y multiplient d’une manière prodigieuse dans toutes les anfractuosités de la côte rocheuse, autour de toutes les îles, de tous les récifs. Les sardines surtout y arrivent en armées véritablement innombrables, qui se succèdent pendant plus de six mois, les unes remontant du Sud, les autres descendant du Nord, venant se heurter vers l’archipel d’Ouessant, d’où elles se diffusent en larges colonnes le long de toutes les côtes de la péninsule, dont elles s’éloignent généralement assez peu, et qu’elles rasent souvent à quelques encablures du rivage, et presque à l’entrée de tous les petits ports. Ces colonnes sont quelquefois tellement serrées, tellement compactes, que l’eau semble disparaître sous les écailles de millions et de millions de poissons voyageurs ; et on conçoit très bien que cette pêche de la sardine et toutes les manutentions successives qu’il est nécessaire d’opérer dans une activité presque fiévreuse soient pendant la moitié de l’année la principale, on pourrait presque dire, l’unique occupation de tous les hommes valides et de Leur famille. C’est elle qui fait l’éducation à la mer du jeune mousse ; c’est à elle qu’il reviendra toujours lorsqu’il aura terminé son temps de service à l’État. Le rôle du pêcheur est d’ailleurs terminé dès qu’il a accosté son bateau, dont la cale et le pont sont quelquefois tellement remplis et couverts de sardines qu’on croirait presque qu’il va couler. La mise à quai du poisson une fois opérée, son expédition, son empaquetage, et surtout la salaison et la confiserie absorbent alors presque toutes les femmes du pays, lorsqu’elles ne sont pas accidentellement occupées au ramassage des varechs qui servent d’engrais ou de combustibles, ou à quelques travaux agricoles très rudimentaires. La terre tient en effet peu de place dans la vie du Breton, qui a la mer à sa portée et constamment sous les yeux. Les centaines de petits ports qui jalonnent les côtes pourraient être aisément doublés. Dans le moindre abri, au fond de la plus petite crique perdue, on trouve toujours une barque échouée ou à flot, et, à deux pas, des hommes, des enfans, des femmes même, tout prêts à y monter, invinciblement attirés par la grande séductrice dont ils ne peuvent se séparer.