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à la masse des Français, elle a toujours aimé le changement pour le changement. L’espoir d’un bel enterrement agissait aussi sur le populaire parisien, et, de ce côté-là, l’attente ne fut point trompée. Il y eut d’abord exposition publique du corps en costume de cardinal. La queue des curieux était si longue, qu’on mettait un jour et une nuit à arriver devant le lit de parade. Cela dura près d’une semaine. Le 13 décembre, eut lieu l’enterrement, dont les badauds se déclarèrent satisfaits ; le char à six chevaux était tout à fait remarquable. Mais la révolution ne venait pas. La Grande Mademoiselle fut la première à s’apercevoir que Louis XIII préparait une déception à son royaume. Elle avait, malgré tout, de l’affection pour son père, qu’il lui était d’ailleurs impossible de séparer de « la gloire » de sa maison. Elle courut au Louvre en apprenant la mort de Richelieu : « Aussitôt que je le sus, j’allai trouver le roi pour le supplier d’avoir quelque bonté pour Monsieur. Je croyais prendre une occasion très favorable pour le toucher : il me refusa, et alla le lendemain[1] au Parlement faire enregistrer contre lui la déclaration dont on sait le sujet, sans que je l’explique ici. Je voulus me jeter à ses pieds lorsqu’il entrerait au Parlement, pour le supplier de n’en pas venir à cette extrémité ; il en fut averti, et me l’envoya défendre ; rien ne put le détourner de son injurieux dessein. » Le 4, après la visite de sa nièce, Louis XIII avait appelé Mazarin à continuer son œuvre. Le 5, il avait envoyé aux parlemens et aux gouverneurs des provinces une circulaire leur annonçant la mort du premier ministre et coupant court aux bruits de crise gouvernementale. Le roi, disait ce document, « était résolu de conserver et d’entretenir tous les établissemens ordonnés durant son ministère, de suivre tous les projets arrêtés avec lui pour les affaires du dehors et de l’intérieur, en sorte qu’il n’y aurait aucun changement. » L’immense fortune amassée par le cardinal passa à ses héritiers sans enquête indiscrète, et Louis XIII y ajouta une distribution de places. L’ombre du mort continuait de régner. — « Tous les malheurs du cardinal subsistèrent, » s’écrie Mademoiselle. Montglat rapporte qu’on osait à peine se communiquer la nouvelle de sa mort, « comme si on eût craint le retour de son âme. Le roi même l’avait tellement respecté de son vivant, qu’il l’appréhendait encore après sa mort. »

La débâcle se fit pourtant en sourdine au bout de quelques

  1. Mademoiselle se trompe de date. La Déclaration contre Monsieur fut enregistrée le 9 décembre.