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foule accourue sur son passage voyait d’abord paraître des chariots, traînant les matériaux d’un large plan incliné. A quelque distance suivait un petit corps d’armée qui escortait une chambre portative, chargée sur les épaules de vingt-quatre gardes du corps, tête nue sous la pluie et le soleil. On apercevait dans cette chambre une table, une chaise, et « un lit magnifique » où gisait l’homme, très intéressant pour le peuple, qui abattait comme des noix les têtes de ces beaux seigneurs que paysans et ouvriers sentaient si prodigieusement loin au-dessus d’eux. La chaise et la table étaient pour les audiences, ou pour le secrétaire auquel Richelieu dictait pendant la route ses ordres aux armées et ses dépêches diplomatiques. En arrivant à l’étape, la maison où il devait loger avait été éventrée à la hauteur de sa chambre, tout ce qui en aurait gêné les approches était abattu ou nivelé et « le rampant » appliqué contre la façade. La lourde machine le gravissait jusqu’à la brèche, d’où elle s’engouffrait sans secousse dans la maison. Quand les circonstances s’y prêtaient, on embarquait cet attirail sur un bateau. Le cardinal entra ainsi par eau dans Paris. Il vint débarquer en face de son palais, au Port au foin, et fut porté chez lui à travers une foule qui s’écrasait « pour voir cette espèce de triomphe d’un cardinal et d’un ministre couché dans son lit, qui retournait avec pompe après avoir vaincu ses ennemis[1]. » Cependant les regards de Richelieu fouillaient à droite et à gauche la cohue « prosternée. » Il y reconnut une personne compromise dans l’affaire Cinq-Mars et lui fit crier séance tenante de venir s’expliquer au Palais-Cardinal.

Les semaines qui suivirent furent pénibles. Depuis le dernier complot, Richelieu était en « défiance » du monde entier, le roi compris, et rêvait d’assassins jusque dans la chambre royale. Il voulut forcer le monarque à chasser plusieurs officiers de sa garde. Louis XIII se révolta. Après des discussions violentes, des récriminations mutuelles, le cardinal eut recours aux grands moyens. Il s’enferma chez lui, refusa de recevoir les ambassadeurs et menaça de donner sa démission. Une fois de plus, le roi céda. Ces deux moribonds se retrouvèrent ensuite d’accord pour prendre des précautions contre Gaston d’Orléans. Le Parlement reçut la Déclaration du Roi contre Monsieur à laquelle Mademoiselle fait allusion dans ses Mémoires. Louis XIII y exposait à ses sujets les

  1. Pontis, Mémoires.