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grande salle de spectacle du Palais-Cardinal, celle qui contenait trois mille spectateurs. Les trucs avaient été commandés en Italie par le « sieur Mazarini, » ancien nonce du pape à Paris. Richelieu avait choisi lui-même les décors et les costumes. Il dirigea les répétitions et fit dresser sous ses yeux la liste des invitations. La pièce fut prête à passer dans les premiers jours de 1641.

Il y eut d’abord une répétition générale pour la critique, représentée par des gens de lettres et des comédiens. La première eut lieu le 14 janvier, devant la cour de France et le Tout-Paris. Les invités étaient placés par l’évêque de Chartres et un président au Parlement. La nouvelle salle plut beaucoup, dans sa magnificence trop neuve. Quand le rideau se leva, peu s’en fallut qu’il n’y eût un cri d’admiration. La scène était bordée à droite et à gauche de palais splendides, entre lesquels se voyaient « de fort délicieux jardins ornés de grottes, de statues, de fontaines, de grands parterres en terrasse sur la mer, avec des agitations qui semblaient naturelles aux vagues de ce vaste élément, et deux grandes flottes, dont l’une paraissait éloignée de deux lieues, qui passèrent toutes deux à la vue des spectateurs. » Le même décor servait pour les cinq actes, sauf la toile du ciel, qui changeait à chaque acte avec l’éclairage, de façon à donner la sensation de la fuite des heures. La pièce était composée selon les formules alors en usage et n’était ni meilleure, ni pire, que beaucoup d’autres. On s’y battait, on s’y empoisonnait, on y ressuscitait, on s’y disputait une belle princesse, et, tandis que ces inventions un peu grosses se déroulaient sur les planches, le maître du lieu faisait l’office de chef de claque et travaillait à enlever la salle : « Tantôt il se levait et se tirait à moitié du corps hors de sa loge, pour se montrer à l’assemblée, tantôt il imposait silence pour faire entendre des endroits encore plus beaux[1]. » Quand le rideau tomba sur le dénouement, une toile représentant des nuages s’abaissa sur la scène et un pont doré vint rouler jusqu’aux pieds d’Anne d’Autriche. La reine trouva au bout une magnifique salle de bal. Elle y « dansa un grand branle » avec les princes et princesses, après quoi l’évêque de Chartres, en habit court et le bâton à la main, « comme aurait fait un maître d’hôtel[2], » lui amena une superbe collation. Cet évêque serviable fut fait archevêque de Reims dans le courant de l’année.

  1. Fontenelle, Vie de Pierre Corneille.
  2. Tallemant.